Après trois années, le Synode sur la synodalité est provisoirement clos. Dans son discours de clôture de la troisième session, le Pape a autorisé la publication du document final[1]. Mais il a déclaré qu’il ne reprendrait pas ces conclusions dans une exhortation apostolique comme c’était devenu, depuis Paul VI, la coutume. Il ne semblait pas, non plus, vouloir revêtir le document final de son autorité pontificale. Mais dans la Note[2] qui, ensuite, a accompagné la publication du document, le 26 novembre, finalement, il a choisi d’en faire un acte de son « magistère ordinaire ». Les circonstances et la nature du document peuvent cependant interroger sur la manière dont l’Église est appelée à le recevoir. L’assentiment religieux exigé des fidèles envers le magistère ordinaire du Souverain Pontife n’est en effet pas le même dans tous les cas. Dans une première partie nous donnerons des éléments de contexte pour aider à comprendre ce qui, selon le Pape, « représente une forme d’exercice de l’enseignement authentique de l’évêque de Rome qui présente certaines nouveautés », selon les termes mêmes de la Note qui accompagne la publication du document final. Dans une seconde partie nous tenterons de décrire et d’analyser une « nouveauté » qui pourrait déconcerter certains, et d’en comprendre la portée.
PREMERE PARTIE :
SYNODE DES ÉVÊQUES OU ASSEMBLÉE D’ÉVÊQUES ?
« Ouverture », avait été le mot le plus repris pour caractériser le Concile. « Chemin », pourrait être celui du Synode sur la synodalité.
Dans son discours devant l’assemblée synodale, le Pape, « reconnaissant la valeur du chemin synodal accompli », affirmait vouloir remettre le document final « immédiatement à la disposition de tous ». Ce document, disait-il, est pour lui « le fruit de plusieurs années, au moins trois, au cours desquelles nous nous sommes mis à l’écoute du peuple de Dieu ». Il estimait donc « qu’il est possible à partir de ce document de cheminer ensemble dans la diversité ». Bien entendu, reconnaissait le Pape, « à la lumière de ce qui a émergé du chemin synodal il y aura des décisions à prendre ». Mais rien ne semblait pressé. Du temps et de la prière « sont encore nécessaires pour arriver à des choix qui impliquent toute l’Église » ; il ajoutait : « ce n’est pas une façon de reporter indéfiniment les décisions… cela correspond au style synodal avec lequel le ministère pétrinien s’exerce également : écouter, convoquer, discerner, décider et évaluer. »
« Le chemin d’écoute » devait donc se poursuivre. François invitait les chrétiens à être attentif au « murmure de l’Esprit… à amplifier la voix de ce murmure, sans l’obstruer ; (à) ouvrir des portes sans ériger des murs…. Nous ne devons pas nous comporter comme des dispensateurs de la Grâce qui s’approprient le trésor en liant les mains du Dieu miséricordieux … » ; et, citant un poème de Madeleine Delbrêl, il s’exclamait : « faites-nous vivre notre vie, non comme un jeu d’échecs où tout est calculé. Non comme un match où tout est difficile. Non comme un théorème qui nous casse la tête, mais comme une fête sans fin où votre rencontre se renouvelle, comme un bal, comme une danse entre les bras de votre grâce. Dans la musique universelle de l’amour ».
Dans le même esprit, les évêques participants, interrogés par les médias, témoignent davantage d’une expérience spirituelle que du contenu. « Nous arrivons au terme de ces mois de chemin ensemble avec un silence, une écoute, une prière et des échanges nourris par beaucoup de respect, beaucoup de vérité, beaucoup de franchise » déclare l’évêque de Troyes, Mgr Alexandre Joly. Et il ajoute un peu plus loin à propos de la session qui s’achève : « trois ans après, il y a une vraie maturité, il y a quelque chose qui s’est construit, il y a une confiance qui a grandi, une confiance entre nous, une confiance qui n’est pas naïve parce qu’on connaît nos fragilités, on connait le poids de la vie humaine »[3].
Si le Synode est d’abord un « chemin », une « expérience spirituelle positive », quel peut être alors la portée du document final ? A-t-il un caractère magistériel ou n’exprime-t-il qu’un ensemble d’opinions, d’étapes, de réflexions, intéressantes sans doute, voire profondes et riches, mais inabouties et restant à approfondir ? Sur l’ensemble des questions posées, comme le rôle des femmes dans l’Église ou le gouvernement de l’Église, il ne semblait pas devoir donner lieu à un arbitrage du Pape. Continuer le chemin, en particulier vers les périphéries, semblait être en définitive le message de François à la clôture de cette session du Synode qu’il annonçait souhaiter poursuivre jusqu’en 2025, en attendant les conclusions de dix groupes de travail qui ont été constitués, notamment sur la question de l’ordination des femmes et sur l’institution de nouveaux ministères.
Pour appréhender les difficultés auxquelles le Peuple de Dieu peut se trouver confronté, il est nécessaire de remonter à l’institution du Synode sous le pontificat de Paul VI.
« Nouvelle donne »
En premier lieu il faut souligner que le « Synode sur la synodalité », en tant qu’il porte sur la notion même qui le définit, est une nouveauté du Pape François. Le terme de “synodalité” est lui-même nouveau.
Paul VI à la suite du Concile, par le motu proprio « Apostolica Sollicitudo » signé le 15 septembre 1965, avait créé le « Synode d’évêques, où des évêques choisis dans les différents pays du monde apporteront une aide efficace au Pasteur suprême de l’Église. (Il) sera constitué de telle sorte qu’il soit :
a) un organisme ecclésiastique central ;
b) représentatif de tout l’épiscopat catholique ;
c) d’un caractère perpétuel ;
d) d’une structure telle que sa fonction s’exercera d’une façon temporaire et occasionnelle » avec un statut consultatif.
Selon le texte de Paul VI, « le Synode des Évêques est soumis directement et immédiatement à l’autorité du Pontife Romain, auquel il appartiendra :
1. De convoquer le Synode chaque fois qu’il l’estimera opportun, en indiquant l’endroit où il se réunira ;
2. De ratifier l’élection des membres dont il est question aux numéros V et VIII ;
3. D’établir les sujets des questions à traiter, si possible au moins six mois avant la réunion du Synode ;
4. De décider que la matière des questions à traiter soit envoyée à ceux qui devront participer à l’examen de ces questions ;
5. D’établir le programme des questions à traiter ;
6. De présider le Synode par lui-même ou par d’autres. »
Même si l’assemblée synodale peut comporter d’autres participants, en vertu de sa nature et de sa mission[4] elle doit se composer de « membres qui sont pour la plupart des Évêques… », auxquels peuvent s’ajouter quelques représentants des Dicastères romains, des Églises orientales, ou d’instituts religieux cléricaux, et quelques membres nommés directement par le Pontife Romain[5] sans que ces compléments, dont on comprend qu’ils doivent demeurer marginaux, en changent le caractère épiscopal. Les modifications pratiques introduites dans l’organisation du Synode depuis Paul VI n’avaient pas remis en cause sa nature : une assemblée consultative[6] d’évêques réunis par le Pontife Romain et soumis directement et immédiatement à son autorité. C’était clair et conforme à la constitution hiérarchique de l’Église où seuls les évêques unis au Pape disposent d’un pouvoir de juridiction.
Déjà cependant, le Pape François dans la constitution apostolique sur le Synode des évêques Episcopalis communio du 15 septembre 2018 ouvrait la porte à la participation de laïcs, hommes et femmes. Voici le texte de l’article 2 de ce document :
« Art. 2 : Membres et autres participants aux Assemblées du Synode :
§ 1. Les Membres des Assemblées du Synode sont ceux prévus par le can. 346.
§ 2. Selon le thème et les circonstances, d’autres personnes, qui ne sont pas revêtues du munus épiscopal, peuvent être appelées à l’Assemblée du Synode, leur rôle étant, à chaque fois, déterminé par le Pontife Romain.
§ 3. La désignation des Membres et des autres participants à chaque Assemblée s’effectue en conformité avec le droit particulier. »
Cette fois-ci, cependant, le Pape est allé beaucoup plus loin en prévoyant que des laïcs[7], hommes ou femmes, participeraient aux travaux du Synode comme membres de plein exercice avec droit de vote : ils sont 96, soit presque le quart des participants. Peut-on encore dire que « la plupart » des membres du Synode sont des évêques ? Est-ce que cette extension, qui n’était clairement pas envisagée par Paul VI, ne modifie pas substantiellement la nature du Synode des évêques ? Déjà en 2018 beaucoup avaient perçu cette décision d’ouvrir le Synode aux laïcs comme une rupture qui posait un problème ecclésiologique. Ce Synode à la composition ainsi modifiée pouvait-il être encore un Synode « des évêques » au sens propre ? n’est-il pas devenu une simple « assemblée » d’évêques ? Certes, les fidèles pouvaient recevoir avec respect les travaux de cette assemblée ; mais ils ne lui devaient sans doute pas un « assentiment religieux » comme cela est dû au magistère ordinaire du Pape et des évêques, selon la constitution dogmatique Lumen Gentium (N° 25) du Concile Vatican II. Pour le Concile les fidèles doivent en effet, « un assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence » à l’enseignement des évêques en communion avec le Pape.
En introduisant des laïcs, le Pape François a opéré un changement qui est donc de taille.
Quel impact sur les conclusions ?
Si le document final n’est plus que le fruit d’une simple assemblée, aussi vénérable soit-elle, les fidèles peuvent accueillir avec respect et intérêt le travail des participants ; mais les documents produits ne les obligent pas à un « assentiment religieux ». D’autant que le document final du Synode sur la synodalité, comme le notait le cardinal Zen, « n’a pas enregistré de délibérations, mais a seulement présenté un résumé des sujets abordés »[8]
Beaucoup s’interrogent donc sur la nature du document. La réponse, selon l’article 18 de la même constitution apostolique Episcopalis communio, est dans les mains du Pape :
§ 1. « L’approbation des Membres étant reçue, le Document final de l’Assemblée est offert au Pontife Romain qui décide de sa publication.
S’il est approuvé expressément par le Pontife Romain, le Document final participe du Magistère ordinaire du Successeur de Pierre.
§ 2. Dans le cas où le Pontife Romain aurait concédé à l’Assemblée du Synode un pouvoir délibératif, selon la norme du can. 343 du Code de droit canonique, le Document final participe du Magistère ordinaire du Successeur de Pierre après l’avoir ratifié ou promulgué.
Dans ce cas, le Document final est publié avec la signature du Pontife Romain et celle des Membres. »
Incertitude sur l’avenir du document synodal
Dans son discours de clôture le Pape, en annonçant sa décision de ne pas publier une exhortation apostolique à l’issue des travaux, semblait rester sur la ligne de ceux qui estimaient que le document final ne participait pas du magistère ordinaire. Il semblait implicitement minimisé la portée des conclusions : « Le document contient déjà des indications très concrètes qui peuvent servir de guide pour la mission des Églises sur les différents continents et dans les différents contextes : c’est pourquoi je le mets immédiatement à la disposition de tous, c’est pourquoi j’ai dit qu’il devait être publié. Je veux ainsi reconnaître la valeur du parcours synodal achevé que je remets au peuple saint et croyant de Dieu avec ce document ».
Cette reconnaissance de « la valeur du parcours synodal » pouvait être une manière de remercier les participants qui y avaient contribué, et d’attirer l’attention sur ce qui dans le document pouvait servir de « guide pour la mission ». Le document final pouvait être considéré comme un simple acte pastoral.
Le Pape en définitive semblait se donner le choix, se laisser du temps, jusqu’au printemps 2025, date à laquelle devraient lui être remis les résultats des travaux de dix groupes d’études sur les problèmes soulevés, notamment l’ordination des femmes et l’instauration de nouveaux ministères.
DEUXIEME PARTIE
LA SYNODALITE « CADRE INTRERPRETATIF DU MINISTERE HIERARCHIQUE »
Mais aux questions qui se posaient sur le statut du document final le Pape, de façon inattendue, vient de répondre : dans la note qui en accompagne la publication il écrit : « Le Document final fait partie du Magistère ordinaire du Successeur de Pierre (cf. CE 18 § 1 ; CEC 892) et, en tant que tel, je demande qu’il soit accepté. ». Le terme « ordinaire » accolé à magistère signifie :
10) Que le Pape n’agit pas en tant qu’il est délégué ou mandaté par le corps épiscopal, mais qu’il agit en fonction de l’autorité et de la mission que lui confère le Christ : confirmer ses frères dans la foi et être le roc sur lequel est bâti l’Église.
20) Qu’il correspond au devoir de la charge qui incombe à chaque successeur de Pierre : celle-ci ne nécessite pas une assistance divine autre que celle qui est promise à l’apôtre dans l’octroi d’une mission qui doit durer jusqu’à la fin des temps.
30) Qu’il s’exerce dans le déroulement habituel d’un gouvernement et d’une sollicitude qui s’étend chaque jour à l’Église entière.
Est-ce que l’affirmation, selon laquelle le document final fait partie du magistère ordinaire, clôt le débat et ferme toute discussion ? Sans doute pas : il n’est pas certain que cette Note réponde à toutes les questions qui ne vont pas manquer de se poser, car, loin de clarifier les choses, sa logique pose de nouvelles questions.
Sur quelles références s’appuie l’invocation du magistère ordinaire ?
La phrase précitée de la Note d’accompagnement est assortie de deux références qui méritent d’être examinées attentivement car, introduites à cet emplacement, elles sont censées éclairer le propos du Pape.
La première semble mystérieuse. Elle est notée “CE 18 § 1”. À y regarder de près, il pourrait s’agir de la Constitution dogmatique sur l’Église « Lumen Gentium »[9] dont le N° 18 déclare : « pour que l’épiscopat lui-même fût un et indivis, (Jésus-Christ) a mis saint Pierre à la tête des autres Apôtres, instituant, dans sa personne, un principe et un fondement perpétuels et visibles d’unité de la foi et de communion. Cette doctrine du primat du Pontife romain et de son infaillible magistère, quant à son institution, à sa perpétuité, à sa force et à sa conception, le saint Concile à nouveau la propose à tous les fidèles comme objet certain de foi… »[10].
La seconde référence renvoie au N° 892 du Catéchisme de l’Église catholique dont le texte est tout aussi explicite : « L’assistance divine est encore donnée aux successeurs des apôtres, enseignant en communion avec le successeur de Pierre, et, d’une manière particulière, à l’évêque de Rome, Pasteur de toute l’Église, lorsque, sans arriver à une définition infaillible et sans se prononcer d’une » manière définitive « , ils proposent dans l’exercice du Magistère ordinaire un enseignement qui conduit à une meilleure intelligence de la Révélation en matière de foi et de mœurs. A cet enseignement ordinaire les fidèles doivent » donner l’assentiment religieux de leur esprit » (LG 25) qui, s’il se distingue de l’assentiment de la foi, le prolonge cependant. »
L’intention du Saint-Père est donc limpide : en déclarant que le Document final « fait partie du Magistère ordinaire du Successeur de Pierre », non seulement il l’endosse pleinement, mais il engage son autorité sur l’ensemble de son contenu, sans réserve ni nuance. Pour enfoncer le clou, François ajoute d’ailleurs un peu plus loin que ce document final « représente une forme d’exercice de l’enseignement authentique de l’évêque de Rome… ».
Tout est-il clair désormais ? Pas nécessairement. La phrase citée au paragraphe précédent se poursuit en effet : « (enseignement authentique) …qui présente certaines nouveautés ». Ce n’est pas faire preuve d’irrévérence envers le Saint Père que d’observer que ces « nouveautés » demeurent imprécises, quand elles ne semblent pas problématiques. Soulignons quelques points qui interrogent.
Cheminer plutôt qu’enseigner : le chemin pour lui-même ?
Le Pape rappelle à nouveau, que le document final « rassemble les fruits d’un cheminement. ». Ce cheminement a été « initié dans les Églises locales, a ensuite traversé les phases nationales et continentales, pour aboutir à la célébration de l’Assemblée du Synode des Évêques lors des deux sessions d’octobre 2023 et d’octobre 2024. » Notons qu’en dépit de la participation des laïcs le Pape emploie la formule « célébration du Synode des évêques ». Mais « le chemin se poursuit ». Il publie néanmoins ce document en l’état « en me joignant au « nous » de l’assemblée ». Or ce dont il « reconnaît la valeur », en l’état de nos connaissances, ce ne sont que des « indications », une « restitution de ce qui a mûri à travers l’écoute et le discernement ». Il demande à l’Église de le recevoir comme des « orientations faisant autorité pour sa vie et sa mission ».
Bien conscient de la nouveauté de sa décision et de son propos, le Pape ajoute que ce document final : « représente une forme d’exercice de l’enseignement authentique de l’évêque de Rome qui présente certaines nouveautés, mais qui correspond en fait à ce que j’ai eu l’occasion de souligner le 17 octobre 2015, lorsque j’ai affirmé que la synodalité est le cadre interprétatif approprié pour comprendre le ministère hiérarchique. »
Cependant, « l’assentiment religieux… de la volonté et de l’intelligence » qui est demandé aux fidèles par Lumen Gentium porte sur la doctrine enseignée par les évêques et le Pape concernant la foi et les mœurs dans le cadre de leur magistère ordinaire : la chose y est dite deux fois ! Et il s’agit bien d’un enseignement, donc d’une pensée assortie d’une formulation assez aboutie sous l’action de l’Esprit Saint pour engager les fidèles. Le Pape François a-t-il voulu élargir le champ de son magistère ordinaire, et partant celui de « l’assentiment religieux » que son autorité entend exiger des fidèles.[11]
Cette « nouveauté » apparaitra à certains d’une très subtile dialectique. La clef de compréhension réside dans le concept de synodalité. Relisons : « j’ai affirmé que la synodalité est le cadre interprétatif approprié pour comprendre le ministère hiérarchique ». Cela signifie donc, à la fois que le document peut appartenir au magistère ordinaire du Pape sans être « strictement normatif » car « son application nécessitera plusieurs médiations », et que ses « indications “autoritaires” (sic) » doivent être « mises en œuvre », même si cela « demande du temps ». Autrement dit, « la conclusion de la XVIème Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques ne met pas fin au processus synodal. » Même si ses conclusions provisoires ont la valeur du magistère ordinaire. D’où émerge inévitablement la question : sur quoi François veut-il ici faire porter l’autorité de son magistère ordinaire ? sur le contenu d’un enseignement concernant la foi ou les mœurs, décidément absent ? ou sur un « processus » qu’il a lancé et dont on ne connait pas l’aboutissement mais auquel il faudrait se conformer quand même ?
La conclusion de la Note permet de comprendre où le Pape voudrait en venir : « toutes les discussions doctrinales, morales ou pastorales ne doivent pas être résolues par des interventions du Magistère ». Même s’il concède qu’une « unité de doctrine et de praxis est nécessaire dans l’Église », cela ne peut empêcher « l’existence de différentes manières d’interpréter certains aspects de la doctrine ou certaines conséquences qui en découlent. » Et ces différences de doctrine ne cesseront selon le Pape que lorsque nous serons « introduits parfaitement dans le mystère du Christ et que nous pourrons tout voir avec son regard ».
Ainsi rédigée, la Note d’accompagnement du document synodal risque de poser beaucoup de questions au « sensus fidei » de nombreux catholiques. Au-delà des questions ecclésiologiques que pose la présence significative de laïcs dans un Synode des évêques, le Pape semble accepter, éventuellement encourager, une certaine diversité doctrinale dans le domaine de la foi et des mœurs, contre une uniformité qualifiée de rigorisme et à laquelle il s’est souvent opposé. Mais, sous couvert de « processus synodal », il n’en définit pas les contours : c’est un « chemin » qui n’est pas « strictement normatif », mais où l’on doit s’engager quand même sans savoir d’avance où il mène. Or, non seulement le magistère ordinaire ne peut être délégué à une assemblée, mais le Pape semble affaiblir la portée de sa demande, et donc l’autorité magistérielle requise, en l’appliquant à un objet dont le contenu, partiellement indéterminé, est aussi empreint de relativité.
Pour les catholiques de base, pour qui le Christ est « le chemin, la vérité et la vie » et pour qui la première mission confiée à Pierre, par le Christ, est d’affermir ses frères dans la foi, l’embarras peut devenir très grand. Nombre d’entre eux, habitués à écouter le Vicaire du Christ comme un « doux Christ en terre », risquent de se demander où ils sont et où ils vont, voire de se défier d’une parole papale si déroutante, quitte même à prendre leurs distances. Est-ce vraiment le but poursuivi ? Aller aux « périphéries » quitte à délaisser le centre ?
Thierry Boutet
[1] À la date de rédaction de cet article (1er décembre 2024), le document final de la XVIème assemblée générale ordinaire du Synode des évêques n’est publié qu’en italien sur le site du Saint-Siège. La traduction française dont on dispose, mise en ligne sur le site de la Conférence des Évêques de France, est qualifiée de « traduction de travail ».
[2] De même cette note n’est, pour l’heure, publiée qu’en italien et en anglais sur le site du Saint-Siège. La traduction en français en a été faite par divers organes de presse, dans un mot-à-mot qui semble parfois approximatif. D’où une prudence nécessaire dans l’analyse qui en est faite, même si le sens général semble assez clair.
Pour que nos lecteurs suivent plus aisément notre analyse, nous publions, parallèlement au présent article, la traduction de cette note telle qu’elle émane du site « ZENIT ».
[3] Vatican News 14/11/2024
[4] Le code de droit canonique, dans sa section relative à l’autorité suprême de l’Église, reprend les termes du motu proprio de Paul VI pour fixer le cadre de fonctionnement et les pouvoirs du Synode des évêques. S’agissant de sa finalité, le can. 342 l’expose ainsi : « favoriser l’étroite union entre le Pontife Romain et les Évêques et aider de ses conseil le Pontife Romain pour le maintien et le progrès de la foi et des mœurs, pour conserver la discipline ecclésiastique, et aussi afin d’étudier les questions concernant l’action de l’Église dans le monde ».
[5] Can 346.
[6] Sauf si le Pape lui délègue expressément un pouvoir délibératif qui, en tout état de cause, demeure soumis à sa ratification expresse (can. 343).
[7] Rappelons que, au sens strict du terme, les religieux qui ne sont pas prêtres sont des laïcs. La distinction laïc/clerc constitue une summa divisio de la structure ecclésiale. Présentement le Pape est allé au-delà des religieux dans la désignation de laïcs comme membres à part entière de l’assemblée synodale.
[8] CF. son analyse sur oldyosef.hkcatholic.com
[9] Habituellement référencée LG.
[10] Cette citation est cependant tirée du second alinéa. S’agit-il d’une erreur de référence ? L’objet semble pourtant correspondre à ce que le Pape veut faire entendre.
[11] Il existe trois sortes d’assentiment demandé aux fidèles. Seules les vérités qui sont intimement reliées à la révélation, qu’elles soient dogmatiques, éthiques ou politiques, exigent un « assentiment de foi ». Cet assentiment est certain et irrévocable. « L’assentiment religieux », celui que François nous demande aujourd’hui, ne relève pas formellement de la foi. Mais cet enseignement doit être accueilli comme lié au pouvoir et au charisme pétrinien. Enfin le « religieux respect » est dû lorsque le Pape fait par exemple œuvre de pédagogie sur des questions qui relèvent plus de la pastorale que de la doctrine.