Une affaire emblématique, mais de quoi ?
Le procès dit « des viols de Mazan » a suscité en France une légitime émotion. Même à l’étranger il a connu un grand retentissement. Les féministes ont voulu en faire le procès du patriarcat. Les commentateurs n’ont pour l’essentiel retenu que la dignité de la victime et l’horreur de faits appelant par leur gravité des peines exemplaires. Mais ce procès hors norme pose en premier lieu un ensemble de questions juridiques, en particulier celle de la qualification pénale des faits. Il est aussi le signe de l’état moral de la société. Ces deux points ne sont pas sans liens. Ils ont été peu soulignés. Or ne sont-ils pas le symbole de la déconstruction de nos sociétés libertaires ?
Chaque époque connaît une affaire judiciaire emblématique qui marque profondément la société. À la fin des années 90 et au début des années 2000, ce fut l’affaire d’Outreau qui a vu émerger la question des abus sexuels sur enfants, mais qui a été aussi l’occasion d’une grave erreur judiciaire à l’encontre des trois quarts des accusés qui, sur la foi de déclarations mensongères ou trop sollicitées, ont été inculpés et emprisonnés pendant de nombreuses années avant d’être acquittés.
Le procès dit des « viols de Mazan[1] » serait-il une de ces affaires emblématiques ? C’est sans doute l’avis des militants d’associations féministes qui ont bruyamment accompagné la victime à qui ils faisaient chaque jour une haie d’honneur pendant le procès ; et c’est ce qu’écrivent à longueur de colonnes nombre de commentateurs. J’en veux pour preuve, parmi d’autres, le long article qu’un « journal du soir », qui passe pour sérieux, a publié au terme des audiences, et qui parle de « violences sexuelles systémiques » commis par les hommes « ordinaires », article dans lequel était écrit : « si tous les hommes ne sont pas des violeurs, quasi toutes les femmes ont vécu de la violence sexuelle »[2]. L’intention est claire : saisir cette occasion pour déconstruire une société accusée d’être structurellement patriarcale, machiste et violente.
Je vais m’inscrire en faux contre cette vision. Si ce procès est emblématique – et je pense qu’il l’est – c’est à un autre titre : il l’est par ce qu’il révèle de l’état de délabrement profond de notre société, par cet « éléphant dans la pièce » que l’on refuse de voir et que je vais essayer de mettre en lumière, en exerçant mon esprit critique en « honnête homme », au sens classique du terme, doté d’une certaine expérience de la vie.
Mais auparavant, il faut examiner certains faits, puis s’interroger sur les incriminations.
Une tension entre la présentation de certains faits et sa plausibilité factuelle.
Je ne vais pas revenir sur l’abomination des actes qui ont été complaisamment étalés devant le public ; ni en rajouter à l’écœurement qu’ils suscitent ! On a été submergé ad nauseam par la description des turpitudes auxquelles un homme, accompagné par cinquante compères, s’est livré sur son épouse, turpitudes dont, au cours des audiences, il a fallu subir la projection publique des vidéos qu’il enregistrait avant de les mettre en ligne sur internet. Je ne veux pas, sur ce sujet, prendre la défense de quiconque, pas plus que je ne veux hurler avec les loups. C’est sur le terrain d’une réalité qui me semble avoir souffert que je voudrais me placer.
On nous a expliqué que l’accusé principal[3], lorsqu’il préparait la soirée au cours de laquelle il allait livrer son épouse à l’activité sexuelle d’un homme recruté à cette fin sur internet, commençait par la droguer pour qu’elle ne se rende compte de rien.
En réalité il lui faisait absorber trois comprimés de « Témesta » pour qu’elle s’endorme profondément. Puis il la déshabillait, la mettait « en situation », faisait entrer l’homme qui allait copuler en la pénétrant ; après cela il la nettoyait, la rhabillait et rangeait tout… Cinquante hommes ont profité de cette mise en scène, pour une centaine d’épisodes s’étalant sur une dizaine d’années.
Le « Temesta » n’est pas une drogue mais un anxiolytique, c’est-à-dire un tranquillisant ayant un effet somnifère, puissant mais assez courant ; en principe, il ne peut être délivré que sur ordonnance. Comment le mari se le procurait-il ? Je n’ai pas la réponse ; mais on peut imaginer que ce n’est pas très compliqué. La dose administrée était la dose journalière maximale admissible telle qu’elle est mentionnée au « Vidal »[4] ; les comprimés étaient écrasés dans la nourriture du dîner. J’avoue avoir un peu de mal à admettre que l’épouse ne se soit jamais aperçu de rien, ni du manège de son mari, ni de l’effet des comprimés écrasés dans la nourriture sur son goût ou sa consistance, ni du sommeil qui la surprenait ; ni même, enfin, des effets secondaires, pourtant avérés, de cette forte dose au réveil… Voilà une première difficulté.
Il y en a une seconde. Puisque les hommes qui la pénétraient étaient le plus souvent sans protection et éjaculaient en elle, il est difficile de croire que le lendemain matin l’épouse dont on avait ainsi abusé ne ressentait rien ; ni douleurs, ni écoulements ? Pourtant, comme l’a fait remarquer crûment un avocat de la défense[5], il y avait alors nécessairement un « effet de verticalité » !
De fait, ce n’est pas elle qui a porté plainte contre son mari : elle a toujours soutenu qu’elle ne se rendait compte de rien. Celui-ci a été piégé dans un magasin parce qu’avec son téléphone il filmait sous les jupes des femmes : un vigile s’en est aperçu et a alerté la police. Celle-ci a appréhendé l’homme. Et c’est en fouillant son ordinateur qu’elle a découvert les vidéos des scènes qui ont donné lieu au procès.
Mon propos, ici, n’est évidemment pas de disqualifier la victime, ni de minimiser le mal qu’elle a subi ; pas plus que d’atténuer la gravité des méfaits commis. Mais quand les faits tels qu’ils ont été exposés génèrent un soupçon sur la plausibilité du récit, quand on a le sentiment que seule une partie de la réalité a été appréhendée, le procès est-il alors bien engagé ? Va-t-il aller au bout de la recherche de la vérité ? Le doute m’a saisi et ne m’a pas lâché. Peu importe objectera-t-on ? Les faits sont là ; et cela serait suffisant. Oui, j’en suis d’accord si l’on s’en tient à l’objectivité des actes pour les qualifier pénalement sans devoir s’interroger sur tel ou tel ressenti, ni sur une quelconque prise de conscience ; en revanche, si l’on doit entrer dans le ressenti, dans la perception subjective, dans la prise de conscience que l’on a eue ou pas des choses, alors non, cela ne suffit pas et le doute doit être examiné. Là est bien une partie du problème.
La difficulté d’une incrimination pour viol
La qualification juridique des faits est toujours un exercice délicat, dans quelque procès que ce soit ; mais c’est un acte essentiel car il conditionne la suite, tant au fond que sur la procédure.
Tous les accusés, le mari comme ses acolytes, sont poursuivis pour viol[6] ; certains avec la circonstance aggravante du viol en réunion. Ils encourent un maximum de 15 ans de réclusion criminelle, maximum porté à 20 ans pour le viol aggravé, ces crimes relevant de la compétence d’une cour criminelle départementale (en l’espèce, celle du Vaucluse) composée de cinq magistrats. De prime abord, cela semble logique. Cependant, le bât blesse un peu.
Le crime de viol est prévu par l’article 222-23 du code pénal qui le définit ainsi : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Sans surprise, la cour, dont le verdict vient de tomber[7], a retenu ce motif de condamnation pour la plupart des accusés. Mais les débats ont montré qu’il n’était pas aussi évident qu’on l’a dit en raison de l’ambiguïté de certaines situations. Sans doute, la pénétration sexuelle était-elle avérée ; mais sous laquelle des circonstances prévues par la disposition précitée a-t-elle été commise[8] ? Il n’y a pas eu de violence physique au sens propre. Menace et contrainte n’apparaissent pas davantage. Quant à la surprise, elle suppose que la victime ait été consciente pour, précisément, être surprise… Administrer une drogue pour forcer sexuellement un partenaire dont on veut désarmer un refus prévisible peut sans doute constituer un acte de violence, ou éventuellement une contrainte, mais indirectement ou par analogie, qui entre dans les prévisions de l’article 222-23 : il y a des précédents ; mais présentement cela ne suffit pas pour traiter la question.
Le « Témesta » peut-il être assimilé à une drogue ? Je laisse la question ouverte. Mon interrogation porte sur la nature du but poursuivi, tant par le mari que par ses compères. S’agissait-il d’assouvir un fantasme pervers en transformant une femme endormie en un simple objet de plaisir[9] ? Cette pratique n’était-elle pas au départ un jeu consenti dans un cadre échangiste, jeu non moins pervers, qui aurait ensuite dégénéré ? Que devient alors la notion de violence requise pour la qualification du crime ? L’ambiguïté de certaines situations a suscité un doute qui n’a pas manqué de surgir à l’audience. Du coup, pour contourner la difficulté, les débats se sont focalisés sur la question du consentement que la victime était incapable d’exprimer au moment où elle était pénétrée. Et, là, ils se sont enlisés : comment, concrètement et dans l’instant, juger d’un consentement qui, sans être explicitement exprimé, pouvait sembler, par moment ou sous certains aspects, être implicitement présent ? De fait, et nous le verrons plus loin, il semblerait que l’épouse, au début, ait participé à certains jeux qui pouvaient ressembler aux actes qui font aujourd’hui l’objet des poursuites, y compris des pratiques échangistes filmées et diffusées sur internet. Pouvait-on en déduire que ces jeux se poursuivaient ? Certains des accusés l’ont prétendu et leur prétention a été difficile à combattre.
On doit observer que l’article 222-23 du code pénal ne parle pas de consentement ; et c’est, me semble-t-il, à bon escient. En effet, les quatre circonstances qui permettent de qualifier le viol incluent implicitement mais nécessairement une absence de consentement de la part de la victime ; mais il faut nécessairement que l’une ou l’autre de ces circonstances soit présente. Voyant la difficulté et le risque qui en résulte quant à la qualification du viol dans la présente affaire, d’aucuns ont argué que, par une interprétation élargie qui engloberait ces circonstances, soit qualifié par principe de viol tout acte de pénétration auquel la victime n’aurait pas expressément consenti. N’est-ce pas trop s’éloigner du principe d’interprétation stricte du droit pénal ? Aussi, et pour surmonter la difficulté, plusieurs observateurs ont-ils proposé que le code pénal soit modifié en ce sens[10].
Quid de l’atteinte à la dignité de la personne ?
Il y avait pourtant un moyen d’éviter ces débats incertains et de s’en tenir à la stricte objectivité.
Au vu des faits connus, l’incrimination qui aurait dû venir à l’esprit et qui m’aurait semblé la plus logique était celle d’une « atteinte à la dignité de la personne » prévue par les articles 225-1 et suivants du code pénal. En effet, ce que l’on voit sans qu’il y ait la moindre hésitation, c’est une maltraitance à caractère sexuel infligée à l’épouse. Or, dans le chapitre relatif à la traite des êtres humains, le code pénal comporte une disposition spécifique sur ce sujet, qui figure au 4° du paragraphe I de l’article 225-4-1. Cet article, relatif au proxénétisme (n’y sommes-nous pas ? oui, et sans qu’il soit besoin d’une quelconque rémunération), mentionne explicitement l’exploitation d’une personne en vue de « mettre la victime à sa [propre] disposition ou à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin de permettre la commission contre [elle] des infractions… d’atteintes sexuelles… ». N’est-ce pas ce qui correspond exactement aux faits ? Mais cette incrimination n’a pas été retenue. Pourquoi ?
Je tente deux explications que me suggère le déroulé du procès. D’une part, ce n’est qu’un délit puni par un maximum de sept ans d’emprisonnement[11] et une amende de 150 000 €, et qui est jugé devant un tribunal correctionnel. Est-ce que cela a semblé insuffisant au parquet ? Est-ce qu’il voulait un procès plus solennel ? D’autre part, la question du consentement devient alors hors sujet : que la victime soit ou non consentante, qu’elle ait conscience ou non de ce qui lui est infligé, si l’atteinte est constituée, elle doit être réprimée. Mais retenir ce chef d’inculpation, qui imposait de se contenter de l’objectivité des faits permettant un jugement assez rapide, n’allait-il pas atténuer l’exemplarité du procès ? Plus encore, n’allait-il pas à l’encontre d’une tendance profonde de notre société, celle de la prévalence de la subjectivité par opposition à une conception objective de la dignité humaine, à une « essentialisation » de cette dignité diraient ses détracteurs ?
Substituer à des circonstances objectives qui peuvent être caractérisées et qui permettent des preuves matérielles, une expression subjective constitue une grande tentation à notre époque qui veut faire prévaloir la subjectivité comme moteur des actes (« ce que je veux », « ce qui me plait »), au nom de la prééminence du Moi. Cependant, modifier le code pénal comme on l’a évoqué ci-dessus, pour lier directement le viol au défaut de consentement, serait une fausse bonne idée du strict point de vue du droit ! Et ce, pour une raison évidente : comment s’exprimerait alors le consentement et comment en apporter la preuve ? En voici une illustration : l’auteur du meurtre de Philippine[12], qui avait tenté de la violer, avait auparavant commis un viol à l’encontre d’une autre jeune fille qui, faute de pouvoir lui résister, s’était laissé faire par crainte pour sa vie. Était-ce un acte de consentement ? Si le terme est pris au pied de la lettre, l’auteur du viol aurait pu le soutenir. On voit facilement qu’entrer dans cette voie nous conduirait à une impasse. Chaque couple devra-t-il tenir un registre que les partenaires devront signer avant toute relation intime ? À défaut d’écrit, devra-t-on enregistrer en vidéo toutes les séances correspondantes afin de se garder des preuves ? Ce serait justifier ceux qui le font déjà par perversité ou pour alimenter les sites pornographiques…
Le mot est lâché et me conduit à mon point-clé.
Un éléphant au milieu de la pièce que nul ne veut voir
Cet éléphant, c’est la pornographie omniprésente, notamment sur internet, mais pas seulement[13], avec une diffusion d’une ampleur inimaginable.
Au fil des jours, on a appris que le mari était un accroc des sites internet pornographiques. C’est par le canal de l’un d’entre eux qu’il recrutait ses compères, en postant les vidéos qu’il filmait. Il ne se contentait d’ailleurs pas de cela : il postait également ailleurs les photos volées qu’il prenait et il avait téléchargé des centaines de vidéos. Le site sur lequel il organisait ses rendez-vous était un site connu d’échanges dits « libertins » (ah, l’euphémisation des termes !) et de pratiques sexuelles de toutes sortes. Ce site comptait manifestement de nombreux abonnés puisque le mari semble n’avoir pas eu de peine à opérer ses recrutements. Il est resté ouvert et accessible jusqu’en juin 2024 alors qu’il avait été identifié par les enquêteurs quatre ans plus tôt ! Ce qui signifie que, jusque-là, personne n’avait jugé bon de le fermer ou de le faire fermer…
Même observation pour les recrues qui fréquentaient ce même site. La diversité de leurs profils montre que tous les milieux sont atteints.
Hélas, il me faut aller plus loin, aussi pénible et inconfortable que cela soit. Au cours du procès, on a appris que la pornographie était très présente au sein du couple lui-même. À la demande de certains avocats de la défense, vingt-sept photos intimes de l’épouse ont été montrées à l’audience. Elle y apparaît nue sur une grande partie d’entre elles. Il y a plusieurs scènes de sexe, avec son mari, et parfois avec d’autres hommes. Elle est aussi montrée dans des poses suggestives, avec des jouets sexuels. Ces photos n’ayant pas pu être prises à son insu[14], sans doute, les avocats voulaient-ils montrer qu’il y avait une pratique établie de jeux sexuels au sein du couple, y compris une pratique échangiste.
Loin de moi l’idée de dénier à l’épouse le statut de victime qui est le sien pour les actes qu’elle a subis, ou de rechercher des excuses atténuantes aux accusés (ce n’est pas mon rôle). Je veux seulement souligner que la pornographie imprégnait tous les protagonistes, sans exception, et que cette imprégnation ne pouvait pas ne pas entraîner les graves dégâts que l’on a constatés.
Qu’on ne m’accuse pas d’amalgame indu, ni d’échappatoire scandaleuse, encore moins de jouer le « père-la-pudeur » ! Tout le monde sait que la pornographie infeste notre société, et qu’elle commence très tôt, dès le début de l’adolescence. En veut-on une illustration ? Selon une étude française de 2017, 63% des garçons et 37% des filles de 15 à 17 ans ont déjà au moins une fois surfé sur un site pour y voir des films pornographiques. L’âge du premier visionnage pornographique est aussi inquiétant : souvent dès avant l’âge de 13 ans. Quant à la fréquence, elle est non moins élevée :36% des adolescents de sexe masculin ayant déjà surfé sur un site X déclarent le faire une fois par mois ou plus, et 4% tous les jours ou presque[15]. Les premières études chiffrées se sont concentrées sur l’infestation des jeunes dont on a fini, non sans peine, par prendre conscience. Mais du côté des adultes, les chiffres sont pires : on estime à 17 millions (soit un quart de la population !) le nombre de français qui fréquentent les sites pornographiques une fois par mois et à 3,5 millions ceux qui le font tous les jours[16].
Depuis des années, les psychothérapeutes tirent le signal d’alarme. Ils l’ont d’abord fait pour les enfants et les adolescents. Mais il n’y a pas de raison pour croire, ou faire croire, que les adultes seraient immunisés alors que, dans notre société dépressive, on sait que les psychismes sont devenus fragiles. Or la pornographie perturbe profondément le psychisme en faisant perdre le sens de la réalité de ce qui est visionné, en repoussant toujours plus loin les limites du faisable, et partant celles du supportable ; autrement dit en agissant comme une drogue. Et on sait qu’elle pousse toujours à l’acte, d’une façon ou d’une autre. Quand elle a infesté l’imaginaire de quelqu’un, elle agit de façon si puissante qu’il est très long et très difficile de s’en déprendre.
C’est d’ailleurs pourquoi je pense que le président du tribunal n’a fait preuve ni de sagesse ni de prudence en cédant aux pressions de la partie civile pour que le procès soit complètement public alors qu’il souhaitait que les projections des images et vidéos se fasse à huis clos. En les jetant en pâture au nom de la liberté d’informer et de l’exemplarité du procès, en réalité il a conforté les dérives voyeuristes d’une partie de la presse – et de son public – et alimenté le terreau auquel la pornographie s’alimente. Il était pourtant évident que mettre ces images à la portée de n’importe qui contribuerait à la banalisation de la pornographie, et par conséquent à son extension.
Éléphant que nul n’a entrepris de dompter vraiment
Cependant, on a beau savoir cela, que fait-on réellement pour lutter contre la pornographie ? Rien ; du moins rien de significatif. On exige d’être majeur et de donner son âge avant d’accéder aux sites pornos ? Mais jusqu’à présent il s’agit d’un simple déclaratif qui n’est assorti d’aucun contrôle sérieux. Pourquoi ? On invoque des difficultés techniques puisqu’internet est libre à l’échelle mondiale ; en revanche, quand il s’agit de protéger un pouvoir en place contre les sites d’information alternatifs, curieusement on sait le faire ! On invoque aussi des difficultés de contrôle pour les sites situés à l’étranger (notamment dans certains pays d’Europe de l’Est membres de l’UE ou candidats pour le devenir !) alors qu’ils sont parfaitement identifiés, qu’ils sont peu nombreux (une dizaine de sites-mères, si l’on fait abstraction des « succursales » aux noms variés que ceux-ci ont créés à des fins de marketing). Ce n’est que maintenant, après des années de bagarres incessantes de la part des organismes et associations de protection de l’enfance, que l’on commence, timidement, à faire quelque chose pour les protéger[17] ; mais on ne veut toujours pas voir que les adultes sont tout aussi atteints, et d’une façon trop souvent indélébile.
La véritable explication est ailleurs. D’une part, trop de gens sont concernés, et trop d’argent est en jeu[18]… D’autre part, quand on a fait de la liberté individuelle, et d’une liberté individuelle sans contrainte et sans autre principe qu’elle-même, quels que soient les désirs qui sont les siens et les plaisirs auxquels elle veut s’adonner, au nom de quoi la restreindre ? au nom de quelles valeurs ou de quelles normes ? Le ferait-on, que les cours suprêmes européennes (Cour de justice de l’UE ou Cour européenne des droits de l’homme) y mettraient le holà au nom l’absolu de la liberté individuelle et de la sacro-sainte protection de la vie privée !
Il ne reste plus qu’à mesurer les dégâts et à tenter de les réparer. Mais le peut-on encore ? C’est une course sans fin dans laquelle la société sera toujours perdante.
Oui, le procès dit des « viols de Mazan » est emblématique. Il ne l’est pas du machisme structurel dont on accuse notre société : est-ce que le vigile qui a, le premier, dénoncé l’accusé principal n’était pas un homme ? Est-ce que le commissaire de police qui a engagé et conduit l’enquête n’était pas un homme ?
En ce qui concerne l’aspect judiciaire proprement dit, je pense que la justice n’en sort pas grandie ; c’est d’ailleurs rarement le cas avec les procès à grand spectacle qu’elle tend à multiplier, mais qui placent la justice sous la pression directe de l’opinion, aux dépens de la sérénité et parfois même de la vérité.
En réalité, ce procès est emblématique de l’état de profonde dépression qui submerge notre société et du surréalisme des débats qui l’agitent sur les pratiques sexuelles de beaucoup trop de monde, pratiques sexuelles que l’on se refuse à désigner pour ce qu’elles sont vraiment. Ce qui émerge, c’est le fait que notre société, dans son ensemble, continue de se détruire de l’intérieur ; car, ayant rejeté toute morale en même temps que toute transcendance, il ne lui reste plus qu’à glisser de plus en plus vite et de plus en plus loin sur la pente où l’a lancée le marquis de Sade pour continuer de jouir des « infortunes de la vertu ».
François de Lacoste Lareymondie
[1] Mazan est le nom d’une commune du Vaucluse dans laquelle habitaient le principal accusé et son épouse.
[2] Le Monde, daté des 24-25 novembre 2024, supplément « L’époque » pages 4 et 5. En réalité, l’affirmation est très exagérée et la généralisation sans fondement ; on le verra plus loin. Mais elle témoigne de l’état d’esprit ambiant.
[3] Je me refuse à écrire les noms bien qu’ils soient publics ; que ce soit celui du mari, jeté en pâture à la meute, ou celui de l’épouse portée aux nues pour sa dignité pendant le procès. Et ce, pour une raison simple qui a été balayée d’un revers de main dès le début : par égard et respect pour toutes les autres personnes qui portent ce même nom et qui, désormais, ne pourront pas éviter d’avoir à s’expliquer d’être ou non parents des protagonistes, avec tout ce qui peut s’ensuivre.
[4] Le « Vidal » est un gros dictionnaire thérapeutique qu’utilisent tous les professionnels de santé. Il est accessible en ligne. Voici la page relative au « Temesta » : https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/temesta-10140.html
[5] On a beaucoup reproché aux avocats de la défense certains arguments ou moyens qu’ils ont utilisés ; quelques auteurs de tribune ont même été jusqu’à douter de la légitimité de défendre de tels « monstres » qui, à leurs yeux, mériteraient ni plus ni moins qu’un « lynchage » public. Dois-je rappeler, et avec force, que tout accusé a droit à un procès équitable, et donc à un avocat dont le rôle est essentiel : d’abord s’assurer de la régularité de la procédure et du respect des droits de l’accusé (car il en a !) ; ensuite soulever tous les moyens de fait et de droit qui peuvent concourir à sa défense, n’en déplaise aux accusateurs. C’est une condition indispensable à la vérité du procès, et c’est même un fondement de toute société civilisée. Dans un cas comme celui-ci, la défense des accusés peut s’avérer très difficile ; elle n’en est que plus nécessaire, sauf à sombrer dans la vengeance pure et simple.
[6] Il y a d’autres chefs d’accusation (détention d’images pornographiques présentant des mineurs, diffusion d’images représentant la commission d’un délit sexuel, atteintes à la vie privée, etc.) ; mais ils sont accessoires.
[7] Verdict comportant la peine maximale (20 ans de réclusion criminelle) pour le mari, et des peines s’étageant de 3 à 15 années, de réclusion ou de prison selon les cas, pour les autres, sans parler des peines accessoires.
[8] Je rappelle qu’en matière pénale, les textes d’incrimination sont d’interprétation stricte.
[9] Abuser d’une femme endormie fait partie des fantasmes sexuels inclus dans la liste des paraphilies.
[10] Cette demande, si elle était satisfaite, ne pourrait évidemment pas s’appliquer au procès en cours. En outre, elle annihile l’argument de l’élargissement de l’interprétation : elle signifie a contrario, en effet, que l’interprétation extensive est juridiquement hasardeuse.
[11] Régime d’incarcération beaucoup moins sévère que la réclusion criminelle, et qui permet notamment une libération anticipée beaucoup plus rapide, presque mécanique.
[12] Meurtre d’une jeune fille dans le Bois de Boulogne commis par un étranger en séjour irrégulier au mois de septembre dernier, qui a suscité une grande émotion.
[13] On a vu s’afficher dans le métro parisien au début de ce mois de décembre une campagne promouvant explicitement le lesbianisme ; un exemple parmi tant d’autres.
[14] Qu’on veuille bien me pardonner de ne pas croire aux dénégations exprimées par l’intéressée : les photos semblent trop évidentes.
[15] Tous ces chiffres sont tirés d’une étude très documentée publiée par l’ECLJ que l’on trouvera à l’adresse suivante : http://media.aclj.org/pdf/Contribution-de-l’ECLJ-à-l’APCE-Commission-des-affaires-sociales-Proposition-de-recommandation-no-15269-Comportements-addictifs-15383-Fevrier-2023.pdf
[16] Voir : https://fr.statista.com/statistiques/1402170/nombre-francais-visitant-sites-pornographies-par-frequence
[17] Un contrôle de l’âge (avoir plus de 18 ans) ne verra le jour qu’au début de 2025, au terme de discussions longues et absconses sur le respect de la vie privé des internautes ! Belle hypocrisie, comme si ceux-ci respectaient la vie privée des personnes qui sont montrées ! En outre, le processus prévu de contrôle est si complexe, avec l’intervention d’un tiers de confiance (!), que l’on peut s’interroger sur sa pertinence et son efficacité. Par contre, les adeptes des sites pornos n’ont jamais hésité à fournir leur adresse courriel et les références de leur carte de crédit…
[18] On estime à 140 milliards de dollars US les revenus de l’industrie pornographique à l’échelle mondiale.
Pour accéder à une information précise, documentée et abondante sur l’industrie pornographique, je ne peux mieux faire que renvoyer à un rapport d’information publié par le Sénat en 2022 sous le titre « Porno, l’enfer du décors ». : https://www.senat.fr/rap/r21-900-1/r21-900-12.html