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L’Eglise en souffrance

L’Église catholique n’est pas « persécutée » par ses ennemis qui la laissent tranquille ; elle l’est pas ses propres fidèles. Au temps où nous vivons, notre Église regorge de « réformateurs ». Chacun a sa petite idée de son renouveau et chacun cherche à l’aider en lui disant comment elle doit faire et ce qu’elle doit dire pour qu’elle devienne ce que l’on attend d’elle. Et quel est le leitmotiv de ce zèle réformateur ? La raison fondamentale est : l’Église c’est nous ! Et si « nous » ne nous convient pas, il faut réformer « nous ».

Que reproche-t-on à l’Église du « nous » ?

              Beaucoup de choses se tapissent sous l’égide du « nous ». La première : elle se prétend être la seule. L’Église catholique est « une » dit le Credo que nous récitons au moins chaque dimanche. Je crois en l’Église « une ». Cette proclamation de l’unité de l’Église est insupportable dans les temps modernes, dans le polythéisme qui caractérise les mœurs intellectuelles et la vie sociale d’aujourd’hui. Personne, sauf les gouvernements les plus autocrates, ne se proclamerait être le seul à avoir trouvé la solution du gouvernement des peuples. Même s’il le pense sans le dire. Nous savons bien que même si l’Église se veut être l’unique, il y en a d’autres qui ont autant de majesté et qui représentent une institution humaine qui veut rester acéphale, c’est-à- dire où il serait inconvenant qu’une personne humaine tienne le rôle du Christ, comme chef de l’Église. L’Eglise catholique, par contre, ne fait pas du pape le chef de l’Eglise, mais uniquement son vicaire. Le pape ne remplace pas le Christ, chef de l’Eglise.

              Beaucoup ont regardé le couronnement de Charles III. La plus grande partie des spectateurs est d’accord pour dire que cette cérémonie de la Communion anglicane a bien représenté l’unité d’une communauté religieuse dirigée par des « pasteurs », dont l’archevêque de Westminster était le « primus inter pares » (premier d’entre les pairs) et le roi, le premier « défenseur » de la foi. C’était beau ! C’était même magnifique !

              Si, au-delà de l’Église anglicane, nous regardons les grandes Églises orthodoxes, nous trouverons une plus grande pluralité. Il y a d’abord l’Église orthodoxe d’Alexandrie, aussi nommée l’Église d’Antioche, qui fut l’une des premières Églises de l’Orient à proclamer sa séparation d’avec l’Église d’Occident. La cause en fut la définition, au Concile de Chalcédoine (451), de l’ordre des processions divines. Le Concile de Chalcédoine dit que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils, la formule orthodoxe dit que l’Esprit Saint procède du Père par le Fils. À l’époque, l’orthodoxie à dénoncé la formule catholique comme étant hérétique. Elle ne rendait pas justice à l’ordre de dignité des Personnes divines. Le Fils, bien qu’égal au Père en dignité, devait lui est soumis, puisqu’il fait sa volonté ! Et cette soumission demandait que le mot « par » soit inscrit dans la définition, puisque la procession de l’Esprit exige l’union entre le Père et le Fils ; ainsi il ne peut être dit que l’Esprit Saint procède du Père et du Fils, mais qu’il procède « par ».

              Peu à peu, la séparation entre l’Église de Rome et les diverses Églises orthodoxes va s’accentuer. L’empire romain d’Orient devient très prospère et entraînera, avec son développement, un grand nombre de savants, de littéraires et de théologiens. Finalement, la séparation des Églises se fait en 1054, quand l’empereur, qui séjourne à Byzance, choisit Michel Cérulaire comme patriarche de Constantinople. Ce dernier chercha à faire plier les Églises latines en leur demandant de se conformer aux Églises du patriarcat grec. Le patriarche latin n’étant autre que le pape, il envoya des émissaires à Constantinople. Mais la réception byzantine demeura peu conciliante. Le légat du pape décida de quitter Constantinople en ayant déposé une bulle d’excommunication sur l’autel de Sainte- Sophie et il rentra à Rome, bride abattue. De son côté, le patriarche de Constantinople excommunia les légats du pape. C’était la rupture.

              Aujourd’hui, l’Église d’Alexandrie, dont la juridiction s’étend à l’Afrique, compte treize éparchies qui forment le corps de l’Église et sont divisées en vingt-deux archidiocèses dont l’ordre de préséance, hormis pour le primat, est déterminé par l’ancienneté du sacre épiscopal[1]. Mais, outre le patriarcat d’Alexandrie, il y a aussi des Églises autonomes, des Églises semi-autonomes, des Églises indépendantes reconnues et non reconnues. En général, la foi orthodoxe reconnaît le même Credo que la foi catholique : elle reconnaît l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. Mais l’unité est celle de la foi, celle qui a été proclamée au Concile de Nicée et d’Éphèse.

              De 1054 à 1507, l’Église n’est pas dispensée d’épreuves. Elle a vu venir le conciliarisme ou l’affirmation de l’autorité du concile sur le pape. Les conciles du Latran (I-IV) ont réglé les grandes questions de discipline. Reste à définir clairement l’autorité du pape et son rapport avec le Conseil cardinalice. Le XIIIe siècle a été un siècle où sont apparus dans l’Église les grands docteurs, dont saint Thomas d’Aquin. Ce fut aussi l’histoire, moins heureuse, des papes d’Avignon et les luttes intestines entre les nobles et la papauté. C’est aussi l’apparition de Luther et sa tentative de réformer l’Église de tous ses scandales. Si un certain nombre de théologiens de l’époque appuie la vérité théologique de l’infaillibilité du pape, certains autres la refuse totalement. Tel ce jeune moine, Martin Luther, qui perturba le travail des théologiens qui, dans un climat très influencé par la présence impériale de Constantinople (Byzance), travaillèrent à la constitution de décrets qui auraient permis à l’Église grecque, en premier, de se réunir à l’Église romaine. Le climat social perturbé de luttes de toutes sortes n’y était pas favorable. Martin Luther entre au couvent des Augustiniens, à Erfurt, le 17 juillet 1505. Il y apporte son génie et les doutes de sa foi. Le Concile de Florence (1439) avait redonné à l’Église son unité. Mais cette Église est déjà amputée par le schisme de 1054 et son climat moral est pourri par les luttes sur les richesses économiques et par les affrontements politiques. Luther est ordonné prêtre en 1507, on le prépare à une carrière théologique. Il choisira celle de « réformateur » de l’Église, clouant à la porte de l’église de Wittenberg les quatre-vingt-quinze thèses contre les « indulgences ». La bulle papale Exsurge Domine, l’excommunie. En la recevant, Luther l’envoie au feu. La rupture est complète, et de réformateur de l’Église catholique, il devint le fondateur d’une autre Église, l’Église dite protestante.

              Luther meurt le18 février 1546. Avant 1054, l’Église était « une » et « indivise ». À partir de 1546 il y a trois Églises qui se disent « une, catholique, apostolique » et si elles gardent les vérités de foi essentielles pour suivre l’unique fondateur, le Christ, elles présentent néanmoins, sur beaucoup d’aspects, des éléments qui apparaissent irréconciliables.

              Aujourd’hui, on s’est familiarisé avec ces trois Églises ; ces subtilités théologiques n’ont plus la valeur, pour notre époque, qu’elles ont eu au temps de leur séparation. Une intelligence moderne n’est offusquée ni par la catholique, ni par l’orthodoxe, ni par la protestante. Aujourd’hui, de telles subtilités sont incomprises… et l’on pourrait se demander si les catholiques récitant le Credo, celui de Nicée-Constantinople -celui du dimanche-, peu importe la formule !, comprennent ce qu’ils disent ? Un certain nombre va encore à la prière publique de sa foi, mais pas plus de 6,6 %. C’est à peu près le même pourcentage pour chacune des Églises ! C’est aussi le même pourcentage que celui des musulmans quant au nombre et à la pratique. La fréquentation de la mosquée, le vendredi, ne dépasserait pas 4,2 %. Ce qui est peut-être une surprise et un certain reconfort ! Les catholiques pratiquent un peu plus que les musulmans. Quelle gloire ! Mais aussi quelle tristesse ! La prière devient tiède, très tiède, qu’elle soit catholique, orthodoxe ou protestante. On s’ennuie avec Dieu ! « Dieu n’est plus sensible au cœur », dirait Pascal, car l’homme est devenu insensible à Dieu !

Au fond, nous avons brisé la vérité de l’Église. Elle avait été fondée, Une, elle est toujours « Une », mais brisée, souffrante, désolée ! Et elle nous ennuie !

 L’ennui, la maladie du siècle

              La France aurait le plus grand nombre d’athées proportionnellement à sa population. Elle pourrait être plus sereine et plus révélatrice de ses dons. Cela est impossible ! Les Français ont peur ! Aujourd’hui, de quoi les Français ont-ils peur ? D’être de nouveau confinés dans les limites de leur territoire, ne fût-ce que la France, et de ne pas pouvoir aller explorer des terres lointaines, de ne pas pouvoir se confronter à des coutumes et des traditions différentes, de ne pas pouvoir en raconter une bonne partie lors de leur retour au pays, de redire des histoires inédites, des comportements originaux, pour évaluer un peu leur génialité et critiquer légèrement ceux que l’on a vu et qui nous ont amusé. Les cérémonies à l’Église ont perdu leur attraction. On a tellement voulu les rapprocher du peuple qu’elles n’élèvent plus l’âme, sauf pour certains lieux privilégiés ! Nous portons lourdement le poids des siècles passés. Et nous ne savons même pas pourquoi nous sommes catholiques ou orthodoxes ou protestants !

              Que conclure ? Une grande majorité de Français s’ennuie ! Plus grand-chose ne les secoue !  Le travail devient de plus en plus automatisé et bientôt, il ne demandera plus que l’effort de brancher l’appareil. Tout se fera seul ! Il n’y plus, sauf pour le « foot », et encore rapidement, l’élan d’admiration pour l’événement. Il n’y a plus de personnalités attachantes et attrayantes qui valent la peine de se déplacer pour avoir, peut-être, la chance de leur toucher le bout du doigt. Tout devient so much. Et cela est aussi vrai pour les catholiques que pour les orthodoxes et peut-être pour les protestants. Prier devient ennuyeux ! L’ennui, on le retrouve partout !

              Mais l’ennui, c’est grave, et c’est plus grave que la COVID. Et c’est d’autant plus grave qu’il n’y a aucun remède à l’ennui, sauf soi-même. Car, contrairement à ce que l’on pense, ce ne sont pas les puissances sensorielles qui s’ennuient. Notre imagination peut toujours être créatrice et la mémoire retient ce que la volonté lui permet de retenir. Et faute de projeter dans l’avenir, nous nous enfonçons dans le présent et nous perdons l’espoir !

              L’ennui est grave car c’est une maladie de l’âme. Nous finissions par nous ennuyer quand nous n’avons de conversations qu’avec nous-mêmes et que nous ne sortons ni de nos échecs ni de nos succès. A force de nous les raconter, ils ont perdu leur nouveauté… et nous nous ennuyons nous-mêmes.

              Si, il y a un vrai remède à l’ennui, mais il demande la ténacité de la volonté pour se l’appliquer ! C’est la contemplation ! La contemplation est l’acte de l’intelligence, non du quotient intellectuel qui n’existe pas. Plus exactement, c’est l’Acte de l’âme ! L’âme est l’acte premier du corps ! Lui, ne contemple pas. C’est l’acte de vie ! Et au-delà du vivre ensemble, il faut vivre avec notre intelligence et notre volonté.

              Qu’est-ce donc que contempler ? C’est découvrir peu à peu, dans notre expérience journalière, ce qui est vrai, ce qui est bien, ce qui est beau. Et les regarder pour ce qu’ils sont et non parce qu’ils nous font envie. Car la contemplation implique un repos et surtout une rupture de la rumination !

              Si nous nous arrêtions un peu de temps, chaque jour, pour recevoir une parole vraie qui est un don de l’intelligence de l’autre ; pour aimer ce qui est un vrai bien, et pour voir, dans une personne, la part de bonté qu’elle diffuse ; si nous acceptions d’être fascinés par la beauté d’un enfant, la beauté d’une image et par la beauté de Dieu, peu à peu notre âme s’agrandirait et sans que nous nous en apercevions, nous sortirions de l’ennui pour vivre pleinement avec les autres… et avec l’Auteur de la Vie. Et au-delà, nous finirions par comprendre que l’Unité de l’Église est un commandement d’amour qu’il faut recevoir.

Aline Lizotte


[1] Wikipédia, sous le titre Patriarche orthodoxe d’Antioche, consulté le 23 mai 2023.