C’est un petit bonheur que j’avais ramassé
Il était tout en pleurs sur le bord d’un fossé
Quand il m’a vu passer, il s’est mis à crier
« Monsieur ramassez-moi, chez vous emmenez-moi »
J’ai pris le p’tit bonheur l’ai mis sous mes haillons
J’ai dit, « faut pas qu’il meure, viens-t‘en dans ma maison »
Alors le p’tit bonheur a fait sa guérison
Sur le bord de mon cœur y avait une chanson
Il faut être né avant 1950 pour se souvenir de cette chanson de Félix Leclerc, de sa voix cassée et sa guitare ! De ses premiers succès en France, dans le grand restaurant-bar, l’ABC. Ce qui lui a ouvert la porte dans son propre pays, au Québec. Car c’est grâce à la France que Félix Leclerc a connu cette brillante carrière de poète, de chanteur, d’interprète et qu’il a fini par être aimé des Québécois.
Ce ne sont pas ces événements qui m’inspirent le court article que je vous donne. Il est court ! Après le dernier grand article sur Benoît XVI, il faut laisser respirer le lecteur. Mais, il ne faut pas tarder à rassurer ce même lecteur. Personne, dans la petite équipe que nous formons, n’a l’intention de supprimer la SRP.
Quand il pleuvait dehors ou qu’mes amis m’faisaient des peines
J’prenais mon petit bonheur et j’lui disais, « c’est toi ma reine »
Pour une grande partie de notre vie, nous nous efforçons de construire de « petits bonheurs ». Et il y en a beaucoup : les premières amitiés, les premiers examens réussis, les vacances scolaires, le premier diplôme, la carrière qui se dessine, la première embauche, et entre temps, la découverte de l’amour, l’enfant qui naît, la famille qui s’agrandit, les enfants qui deviennent des adultes et inaugurent un nouveau cycle, une continuation de la vie.
Et il y autant de petits malheurs, qui sont souvent vécus comme de grands malheurs : les premiers échec scolaires, les premiers amis qui s’en vont, les trahisons amoureuses, les maladies, les inquiétudes d’un chômage qui s’allonge, l’âge qui s’avance et fait voir l’ombre de la mort. Nous aspirons au grand bonheur et finalement, nous y renonçons. Les petits nous suffisent à peine.
Et si le soir, nous ouvrons l’émission de télévision qui nous apprend les événements de la journée, nous entendons ce que nous ne voudrions pas entendre : ce petit garçon de onze ans, il s’appelait-Luc-, qui s’est suicidé, devenu incapable de supporter le harcèlement scolaire de ses camarades qui l’on traité d’homo… ou de « pédale ». Pourquoi ? Cette fillette de six ans, qui s’est emparé d’un revolver chargé et qui a tiré sur son institutrice, la blessant sérieusement. Pauvre petite, à six ans, elle pensait avoir un jouet entre les mains. Et pourtant, l’administration de l’école avait été avertie que l’enfant avait une arme dans les mains. On pouvait penser qu’il n’était pas chargée ! Cette jeune adolescente, atteinte de septicémie et qui, malgré ses plaintes, n’a jamais être écoutée par le personnel de la maison d’accueil à laquelle elle avait été confiée. Elle est morte !
Et cette guerre en Ukraine qui a déjà causé la mort de 200 000 jeunes Russes et près de 100 000 Ukrainiens ; cette guerre que Vladimir Poutine a déclenchée voilà maintenant près d’un an, sous le titre d’ Opération Spéciale, sûr que les Occidentaux qu’il méprise finiront par lâcher prise.
Bien sûr, nous donnerons à Zelensky les 300 chars les plus puissants et les plus sophistiqués que l’Occident possède, sans d’ailleurs trop s’appauvrir… Mais quel pays restera-t-il ? Ces villes du Donbass presqu’entièrement détruites, ces maisons et ces larges buildings réduits à n’être qu’un tas de pierres ! Et Volodymyr Zelensky qui, malgré tout, a encore le courage de lutter contre la corruption politique, la gangrène de l’Ukraine ! Purifier le pays et le défendre contre un adversaire qui devient un criminel, c’est une tâche qui demande plus que le zèle patriotique !
Et nous que faisons-nous ? Pour nous protéger des incertitudes de la vie, nous construisons tous ces petits bonheurs qui semblent nous masquer les petites et grandes souffrances. Et nous aspirons vers ce Grand Bonheur. Et pourtant !
Or un matin joli que j’sifflais ce refrain
Mon bonheur est parti sans me donner la main
Il s’en allait toujours la tête haute sans joie, sans haine
Comme s’il ne pouvait plus voir le soleil dans ma demeure
Là nous risquons de perdre pied. Les petits bonheurs s’effacent et il semble que n’existe plus que la grande souffrance, les amitiés se cassent, les trahisons s’installent, les enfants s’éloignent. L’isolement envahit la mémoire. Et sans le dire, le désir de la mort s’installe tout doucement.
J’ai bien pensé mourir de chagrin et d’ennui
J’avais cessé de rire, c’était toujours la nuit
Il me restait l’oubli, il me restait l’mépris
Enfin que j’me suis dit, il me reste la vie
Aujourd’hui quand je vois une fontaine ou une fille
Je fais un grand détour ou bien je ferme les yeux
L’oubli n’est pas une solution, car l’oubli n’existe pas ! On finit par oublier les événements, on n’oublie pas la souffrance. Elle restera marquée dans l’âme, sauf si elle est vécue autrement, sauf si elle ne se laisse pas envahir par le mépris.
Si nous savions regarder, il y a, à côté de la « fontaine » ou assis sur la margelle du puits, Quelqu’un qui dit : « Donne-moi à boire ». Il regarde venir cette femme qui, en plein midi, vient puiser de l’eau ; cette femme qui accomplit un travail épuisant et qui est méprisée. On l’envoie puiser de l’eau alors que le soleil darde ses rayons et qu’on reste chez-soi pour se protéger de sa chaleur. Qui est-il, ce Quelqu’un qui se fait pauvre, si pauvre que la femme s’en étonne ! Et que demande-t-il ? Ce qu’elle peut donner ! Un peu d’eau ! C’est tout ce qu’elle peut donner ! C’est tout ce qu’Il demande ! Mais Lui donne tout ce qu’il peut donner, sa Personne. Et ce don l’envahit ! Elle n’est plus la femme esclave, la servante humiliée, elle est devenue une femme apôtre. A elle seule, elle convertit tout le village !
Au fond de nos souffrances, quelles qu’elles soient, là où nous serions tenté de dire « non », il faut ouvrir les yeux et voir Celui qui nous demande à boire. Le peu d’eau que nous lui donnerons sera transformé en l’abondance de sa Personne. Et « alors, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? En effet, il est écrit : C’est pour toi qu’on nous massacre sans arrêt, qu’on nous traite en brebis d’abattoir. Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés »( Épitre aux Romains, 8, 35-37) .
Nous cherchons les petits bonheurs. Ils ne sont pas méprisables. Mais un jour, sur terre, nous sommes appelés à rencontrer le Grand Bonheur et à voir que nous sommes profondément aimés. Cela, nous devons l’accepter et, comme la Samaritaine, amener les autres à le partager avec nous.
Aline Lizotte