Comme si cela était un péché ! Comme si cela ne s’était pas déjà produit !
Cinq cardinaux, les cardinaux Walter Brandmüller (Allemagne), Raymond Leo Burke (Etats-Unis), Juan Sandoval Íñiguez (Mexique), Robert Sarah (Guinée) et Joseph Zen Ze-kiun (Chine) ont rendus publics des « doutes » après la publication de l’ « Instrumentum Laboris » du Synode des Évêques qui s’est ouvert le 4 octobre dernier. Le groupe est connu et moyennement apprécié publiquement.
Les évêques ont un vrai pouvoir collégial lequel, quand ils s’expriment, doit manifester un lien absolu avec le Souverain Pontife[1]. Il est donc presque impossible que le Collège des Évêques, en tant qu’agissant collégialement, se disjoigne de son « chef ». Ce serait presque se dissoudre lui-même. Cela ne signifie pas qu’un évêque, membre du Collège ne puisse manifester au Pape une inquiétude ou même un désaccord « théologal » ou en rapport avec la doctrine morale catholique.
Les cinq évêques ont donc, en tant qu’évêque, sans pour autant utiliser leur pouvoir collégial, exprimés, non un désaccord, mais des « doutes » (dubia) sur les schémas d’étude et sujets proposés au travail du Synode. Cet « Instrumentum Laboris » est un instrument de travail. Il comporte une introduction et des feuilles de réflexions où sont notées plus de 100 questions traitant de l’exercice de la synodalité dans l’Église. Ces cinq évêques, manifestement, ne sont pas prêts à accepter certaines propositions présentées au Synode. Pour exprimer leurs doutes, ils ont utilisé une méthode très connue et très pratiquée dans l’Église, au moins jusqu’à maintenant. Elle consiste à interroger un dicastère, souvent celui de la Doctrine de la Foi, pour lui soumettre, sous forme d’une brève proposition, un « doute ». Le Dicastère répondra très brièvement par un « oui » ou par un « non ». Les auteurs de ces « dubia » attendaient cela ! Mais ce n’est pas ce qu’ils ont reçu. Ce qu’ils ont reçu, après quelques mois, ce sont des réponses doctrinales et une interprétation dont le Pape se sert pour exprimer sa propre pensée. Légitime ou non, ils n’ont reçu aucune réponse à leurs doutes. Autant parler d’un dialogue de sourds !
La Nécessité du Doute
Dans son commentaire sur les Métaphysiques[2] d’Aristote, saint Thomas d’Aquin expose ce qu’il appelle la « nécessité du doute ». Le début de la leçon énonce le principe suivant : « lorsque qu’il est nécessaire de manifester la vérité des principes et la vérité universelle d’une proposition, il est nécessaire, en premier, que nous commencions par, douter, avant même de déterminer la vérité »[3]. L’Aquinate va donc développer quatre raisons qui montrent cette nécessité en vue de « bien douter ».
- La première montre l’action du doute sur l’intelligence : le développement qui manifeste la vérité n’est rien d’autre que la solution d’un doute. Le doute empêche l’intelligence d’atteindre la vérité. Et il donne un exemple : lorsque les pieds sont liés et entravent la marche. Il faut d’abord délier les pieds et, pour ce faire, il faut examiner comment est fait le nœud !!! Or le doute, dans l’intelligence, est comme le nœud qui empêche le mouvement des pieds. Celui qui doute « a les pieds liés », il ne peut progresser vers la vérité même si elle lui était clairement démontrée !!!
- La deuxième est encore plus explicite : celui qui veut chercher et trouver la vérité, sans considérer en premier les doutes, est semblable à celui qui marche sans même savoir où il va !!!
- La troisième est que si on lui donnait la vérité, ne sachant pas où il va, il ne reconnaîtrait pas qu’il a reçu ce qu’il cherchait. Il ne pourrait rien recevoir : ni la conclusion, ni l’argumentation.
- La quatrième concerne l’auditeur – c’est-à-dire dans le langage d’Aristote, le disciple – L’auditeur (le disciple) doit pouvoir poser un « jugement » sur les conclusions que lui présente celui qui l’enseigne. S’il ne peut poser ce jugement, il ne peut recevoir la vérité qui n’est donnée à l’intelligence que si elle peut, par son propre raisonnement et avec l’aide de son « tuteur », atteindre la conclusion qu’elle recherche. Or comme il ne sait pas avant d’apprendre (sic), il est sain qu’il interroge. Ce que fait le doute !
Saint Thomas conclut son commentaire en montrant que, plus la vérité est élevée, plus elle est universelle, plus on doit tenir compte des « doutes » qu’elle fait surgir. Il faut s’efforcer de les trouver, à supposer qu’on ne les voie pas immédiatement.
Le Mépris du doute
On pourrait objecter à saint Thomas que ce commentaire est très intéressant, mais qu’il s’adresse aux philosophes et non aux fidèles, et encore moins aux théologiens, parce que la vérité de foi ne se démontre pas. On la reçoit comme un don. On y adhère, on en accepte la vérité en raison de l’autorité qui l’impose – Dieu – et on en vit ! Il y a dans l’Ancien Testament, un exemple qui illustre bien cette attitude, c’est celui de l’ânesse de Balaam : (Nb 22, 21-31) « L’ânesse vit l’ange du Seigneur posté sur le chemin, son épée dégainée à la main ; elle quitta le chemin et prit par les champs. Balaam frappa l’ânesse pour la ramener sur le chemin ». L’ânesse ne sait pas pourquoi elle s’arrête et pourquoi elle se braque contre la volonté de son maître, mais c’est évidemment le Seigneur qui donnera la réponse et qui permettra à Balaam de continuer son chemin.
Dieu nous donne sa vérité, comme un don pour l’intelligence. Il nous demande de la recevoir comme une vertu, c’est-à-dire comme une force qui ouvre l’intelligence à son réel à Lui. Il nous demande de mettre toutes nos puissances à en recevoir le sens, et à vivre, en Lui, dans une communion de plus en plus intense, non seulement dans l’amour, mais aussi dans la vérité. C’est ainsi que le Christ à définit sa mission terrestre face à Pilate : « Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix » (Jn 18,37).
Mais Dieu ne fait pas de nous des « ânesses ». Pilate pose la question : qu’est-ce que la vérité et il sort sans avoir accueilli la réponse. C’est souvent notre attitude. De l’amour nous en voulons bien. De la vérité nous n’en voulons guère ! Et parce que nous ne voulons pas de la vérité, nous ne voulons pas du doute. Et quand le doute paraît, nous cherchons la réponse rapide qui le fera disparaître… ou nous nous enfuyons ! Et c’est ainsi que nous méprisons le doute parce que nous refusons la douleur qu’implique de chercher et de le surmonter par la recherche de la vérité. Nous sommes comme Pilate ou comme l’ânesse de Balaam. À nous de choisir !
C’est ce mépris du doute qui est à la source des grandes hérésies dans l’Église.
L’arianisme qui naît avec Arius (250 -336) est, même condamné par le Concile de Nicée (325), virulent jusqu’à la fin du VIe siècle. Il n’était pas né d’une intelligence perverse ; il cherchait la gloire unique du Père et refusait qu’elle soit aussi partagée avec le Fils, son propre Verbe. C’était sa certitude. Jamais il ne l’a mise en doute ! Et pourtant ceux qui l’ont suivi, auraient dû, avant de « nier », douter !
En 1054, le légat de Rome le cardinal Humbert de Moyenmoutier quitte Constantinople à bride abattue et lance sur l’autel de Sainte Sophie la bulle d’excommunication contre le patriarche Michel Cérulaire. C’est la séparation entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident. Chaque partie était enfermée dans sa certitude. On s’excommunia l’un l’autre. Pendant dix siècles ! La levée des excommunications ne se fera que le dimanche du 7 décembre 1965[1] entre Paul VI et Athénagoras 1er. Mais la rupture quant à l’autorité de la foi est toujours existante. Quelle est, sur terre, l’autorité humaine qui témoigne de la vérité divine ? L’autorité politique du pays ? Le Patriarche de l’Église régionale ? Ou le Pape quand il fait appel à la promesse de Jésus que sa foi ne « défaillira pas » ? C’est le grand schisme d’Orient.
La rupture entre l’Église d’Occident et l’Église d’Orient entrainera autre chose. C’est ce qui s’appellera le Conciliarisme. A-t-elle commencé par les disputes entre Philippe le Bel (1268 -1314), roi de France, et le Pape Boniface VIII (1235 1303) ? C’est possible. Mais, il ne s’agit pas d’une question de personnes. Il ne s’agissait pas de savoir si le Pape devait dominer le Roi et le Roi obéir au Pape – ce qui en fait n’avait pas beaucoup de sens. Il s’agissait de déterminer, à l’intérieur même de l’Église, si le Concile, c’est-à-dire l’unité « collégiale » des évêques, était l’autorité suprême, au dessus de celle du Pape, ou le contraire ! Quelle était l’autorité « suprême » dans l’Église ? Suprême signifiant qu’elle ne dépendait de personne, et qu’en aucun cas elle ne dépendait d’une délégation ou d’une nomination. Un grand nombre de personnes pensaient que cette autorité était le Pape seul, mais d’autres juraient presque que c’était le Pape et les évêques, donc le Concile. Les diverses options se répandirent dans toute l’Europe, et les diverses formes d’autorités se multiplièrent. On finit par avoir trois Papes, un à Rome, un autre en Avignon et un troisième qui cherchait sa résidence. La crise se termina factuellement entre 1439-1441 quand les diverses Églises acceptèrent la primauté pontificale[5]. Mais elle engendra quelque chose de beaucoup plus grave.
Le 31 octobre 1517, le moine Martin Luther (1483-1546) placarda, sur les portes de l’église de Wittemberg ses 95 thèses condamnant violemment le commerce des indulgences pratiqué par l’Église catholique, et plus durement encore les pratiques du haut clergé — principalement de la papauté. Ces 95 Thèses, également appelées Thèses de Wittemberg, sont imprimées à la fin de l’année. Elles s’insurgent contre l’instauration de dogmes, tels que celui du Purgatoire. Condamné par la Bulle « Decet romanum pontificem » le 3 janvier 1521 et mis au ban de l’Empire par Charles Quint, Luther développera maintenant ses propres certitudes : celles de la foi seule ! Autrement dit, ni l’enseignement, ni les pratiques, ni les actes ne peuvent apporter la certitude du « Salut ». Seule la foi est certitude de salut, et elle cherche appui sur celui en qui repose le pouvoir de gouverner l’Etat : « Cujus regio, ejus religio ». Si j’ai la foi de celui qui me gouverne politiquement, je suis sûr de ne pas me tromper. Le reste dépend de ce que je choisis de croire et de la manière personnelle dont je dirige ma conscience. C’est le fond de la Réforme. Elle se répandra avec grande vitesse dans toute l’Europe et attaquera, avec moins de succès, les colonies de l’Amérique Latine et de l’Amérique du Nord. Chacune ayant ses propres certitudes ! Remarquons, encore une fois : personne ne tolère le doute !
Avec tout cela nous arrivons à l’orée de la Révolution française. Ayant traversé les Guerres de Religion, établi solidement la Réforme dans le Nord de l’Europe, fait bon ménage avec la religion orthodoxe dans les pays baltes et l’énorme étendue territoriale de la Russie, l’Europe a définitivement perdu son unité politique et son unité religieuse. La reconstruction ne sera pas facile. Même à long terme, on ne peut espérer qu’elle soit « cultuelle ». Si elle parvenait à être politiquement unifiée, ce serait bien ! Mais un grand doute demeure ! Quelle sera sa solution politique ?
Les « dubia » et le service qu’ils nous rendent
Les « dubia » formulés par les cinq cardinaux nous rendent un service que l’on n’apprécie guère, principalement dans les hautes sphères de l’autorité religieuse. Cependant, ces cardinaux posent de vraies questions – donc des doutes – que nous n’avons aucun droit de mépriser. Si à ces questions aucune réponse n’est donnée, on peut à l’avance signer l’échec de ces deux rencontres synodales. Examinons ces questions.
- Est-il possible pour l’Église d’aujourd’hui d’enseigner des doctrines contraires à celles qu’elle a précédemment enseignées en matière de foi et de morale, que ce soit par le pape ex cathedra, par les définitions d’un concile œcuménique ou par le magistère ordinaire universel des évêques dispersés dans le monde entier ?
- Est-il possible que, dans certaines circonstances, un pasteur puisse bénir des unions homosexuelles, suggérant ainsi que le comportement homosexuel en tant que tel ne serait pas contraire à la loi de Dieu et au cheminement de la personne vers Dieu. Ce « dubium » est lié à la nécessité d’en soulever un autre : l’enseignement soutenu par le magistère universel, selon lequel tout acte sexuel en dehors du mariage, et en particulier les actes homosexuels, constitue un péché objectivement grave contre la loi de Dieu, indépendamment des circonstances dans lesquels il a lieu, et de l’intention avec laquelle il est accompli, est-il toujours valable ?
- Le synode des évêques (comportant des laïcs) qui se tient à Rome et qui ne comprend qu’une représentation choisie de pasteurs et de fidèles, exercera-t-il, dans les matières doctrinales ou pastorales sur lesquelles il sera appelé à s’exprimer, l’autorité suprême de l’Église qui appartient exclusivement au Pontife romain et, « una cum capite »,au Collège des Evêques ?
- L’Église pourrait-elle à l’avenir avoir la faculté de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes, contredisant ainsi le fait que la réservation exclusive de ce sacrement aux hommes baptisés appartient à la substance même du sacrement de l’Ordre, que l’Église ne peut changer ?
- Un pénitent qui, tout en admettant un péché, refuse de manifester de quelque manière que ce soit l’intention de ne plus le commettre, peut-il valablement recevoir l’absolution sacramentelle ?
Nous pouvons déplorer que ces questions, soient mal écrites, qu’elles ne respectent en rien l’intention fondamentale de l’autorité supérieure, ou que les finalités qu’elles expriment soient complètement hors de ce qui est posé et sera discuté dans ce synode qui a comme but la synodalité. Elles ont cependant le mérite d’alerter l’intelligence sur des points sur lesquels on ne semble pas trop s’attarder.
Ce ne sont que des esquisses de réponses
1 : La première question touche à la nature et à l’extension du magistère ordinaire du Collège des évêques. Ce magistère n’est en rien un magistère délégué. Il est par nature celui qui exprime la triple charge (munera) de l’autorité supérieure, qu’elle soit celle du Pape « seul », ou celle qui s’exprime par le Collège toujours en union avec le Pape. C’est-à-dire sanctifier, enseigner, gouverner. C’est ce qui est écrit dans Lumen Gentium (n°25). En dehors du magistère extraordinaire – c’est-à-dire d’une expression solennelle de ces décisions, par exemple la proclamation d’un dogme – le Pape ou le Collège, c’est-à-dire le Pape et les Evêques, peuvent-ils user de leur pouvoir de juridiction pour enseigner une doctrine qui contredirait ou affaiblirait celle qui a été établie par l’autorité magistérielle ordinaire d’un pape précédent ? Faut-il changer l’importance du « conseil » d’un synode et en faire un tremplin pour élargir le pouvoir du magistère ordinaire… ou simplement en diminuer l’importance de sorte qu’un pouvoir laïc le remplace ? Le principe de juridiction, qui donne au pape l’autorité suprême, lui donne-t-il la possibilité de dire le contraire d’un acte du magistère authentique antérieur à lui ? Car, ce qui est du magistère authentique engage l’autorité de l’Eglise, non seulement pendant le temps des fonctions du pape en place, mais tout le temps où il est nécessaire que la décision prise soit ordonnée au bien de l’Église et au salut des âmes. Faut-il perpétuer cela ?! C’est le travail collectif du Collège, pas celle d’un synode sur la synodalité !
2- Le deuxième dubium concerne la bénédiction aux unions homosexuelles. Le prêtre, ou même le diacre, peut-il bénir des unions homosexuelles ? Il y a deux éléments à examiner. Bénir n’est pas un geste : c’est une formule ! Et la formule est une reconnaissance d’une chose bonne ou une formulation d’un avenir bon. Ainsi quand on dit « bonjour » on souhaite que le jour soit « bon », comme quand on dit « bonsoir » ou « bonne nuit ». Bénir ce n’est pas faire un geste, c’est selon le mot latin « benedicare », dire du bien. De sorte qu’en « benedixit » une union homosexuelle, on affirme qu’elle est « bonne » ! Dans ce cas, l’homosexualité ne serait pas une tendance qui viole la loi naturelle ! Ce qui est à discuter sérieusement ! Et cela ne dépend pas de la loi de l’Église, mais de la nature elle-même. Or la nature n’est pas sous la gouvernance de l’homme. Elle ne dépend même pas de l’Église, mais du créateur dans ce qu’il a ordonné depuis l’origine.
3- Le troisième dubium porte sur les membres convoqués à ce synode. Un Synode n’est pas un Concile. Il est un appel du Pape qui désire un « conseil » de la part d’un organe qui n’a d’autres pouvoirs que celui-là. À moins de le déterminer clairement, le « conseil » issu de la réunion n’est pas un acte qui engage le Collège apostolique. Le Pape a le pouvoir d’inviter qui il veut et de prendre ce qu’il veut dans les propositions que le Synode pourra présenter. Il pourrait même choisir quelques idées dans les propositions rejetées. Non seulement il a le Pouvoir suprême, mais les membres du Synode, même appelés par le Pape, n’agissent pas « collégialement » et en encore moins les laïcs participants, qu’ils soient hommes ou femmes.
4- Tout acte sexuel hors mariage est-il un péché grave ? Le Saint Père déteste, à bonne raison, les jugements monolithiques. Ces jugements ne sont pas le propre de l’autorité presbytérale ou épiscopale dans l’Église. Car depuis toujours on enseigne que le péché grave ne se détermine pas uniquement par sa « matière » ou son objet. Ce n’est pas suffisant pour parler d’un péché grave. Il faut encore la pleine connaissance de la gravité de l’acte et le consentement d’une volonté libre. On peut objectivement se demander où sont la connaissance suffisante et le plein consentement de la volonté dans un tel acte. Et avant de juger que tous les homosexuels sont ipso facto en état de disgrâce devant Dieu, il vaudrait mieux connaître le problème et les souffrances des tendances homosexuelles. Le ministère dans l’Église, qu’il soit celui du prêtre ou du diacre, qu’il soit même celui d’un laïc, n’est pas celui de juger et de condamner, mais de venir au secours de ceux qui ont besoin de lumière et de considération humaine.
Le 5e dubium ressemble à l’exercice de quelqu’un qui veut pousser son adversaire dans les invraisemblances afin de pouvoir en disposer. Il est certain, et cela depuis le début de l’Église, que celui qui ne manifeste aucune contrition pour une faute qu’il a commise et qui refuse de prendre les moyens de ne plus retomber, ou du moins d’essayer, ne peut pas être absous de sa faute. Il est aussi sûr que s’il y a une liaison charnelle entre deux homosexuels, hommes ou femmes, il y a peu de chances qu’ils aillent se confesser d’une « faute » dont ils ne veulent pas sortir. Mais la question se pose-t-elle comme cela dans l’histoire concrète des vies humaines ? Certes, peut naître, peu à peu, le désir de sortir d’une situation qui ne manque pas de jeter une culpabilité dans une conscience qui conserve encore des réminiscences de moralité. En réalité, ces consciences sont moralement plus conscientes de leur état que celles de ceux qui les jugent. Mais en sortir, même en ayant le ferme propos de le faire, est tout à fait autre chose. De plus, les deux partenaires ne sont pas égaux : il y a la domination d’un côté et une très forte soumission de l’autre, presque un esclavage. Si le « confesseur » ne tient pas compte de ces conditions, il vaudra mieux qu’il n’accepte pas de confesser des personnes liées par une sexualité du même genre. Car il lui faudra une vraie paternité spirituelle pour déceler les désirs, souvent enfouis, en vue d’une délivrance. On ne parle pas encore d’un ferme propos. Ce n’est pas que l’un des deux partenaires ne le veuille pas, c’est qu’il a le sentiment non négligeable qu’il ne le peut pas ! Si pour obéir à une règle bonne il laisse dans la misère morale celui qui exprime sa souffrance, ne fût-ce que par un soupir, en quoi le confesseur est-il le ministre de la miséricorde divine ? Si, comme le dit le Pape François, sa religion est monolithique[6], en quoi peut-il témoigner de la miséricorde divine ? Il serait mieux pour lui de solliciter un poste d’économe, mais non celui de confesseur !
6- Reste la question de l’ordination des femmes ! Si le Pape veut l’introduire dans l’Église il a beaucoup à faire. En premier lieu, il faut souligner qu’il n’y a jamais eu de diaconesse dans l’Église. Il peut y avoir eu des femmes à qui on donnait ce nom, mais cela ne s’est pas répandu. Par contre, la vocation de « vierge consacrée » a fait floraison. Sans être dure, je ne pense pas qu’un titre quelconque oriente une vie et attire plus de personnes parce que quelques femmes réclament l’ordination. Il est souhaitable de mettre en garde le Pape François sur ce point, car il risque de se mettre à dos près de 70% des catholiques – hommes et femmes compris ! Le jeu en vaut-il la chandelle ? Et l’institution de ces femmes « diacres », dont le ministère, tel que le décrit Lumen Gentium, ne comporterait aucun pouvoir, suffirait-elle pour que nos féministes soient satisfaites ? Dans une grande majorité, en beaucoup de lieux, le service pastoral est déjà accompli par des femmes. Vaut-il vraiment la peine d’aller contre la Tradition pour revaloriser la place de la femme dans l’Église. Comme si jusqu’à maintenant, elles s’étaient tenues « coite[7] » dans cet institut masculin ? Même le mot « Église » s’écrit au féminin !
Conclusion
Oui, les « dubia » sont utiles et même nécessaires, spéculativement ou pratiquement. Ils ont l’avantage de nous exercer à la vertu de prudence, laquelle est la vertu maîtresse de tous nos actes humains. Quand on est jeune, on apprend à traverser une rue en regardant à droite et à gauche et même devant avant de s’engager sur un chemin périlleux. Quand on a vieilli, on se rend compte que, plus les choses à faire sont difficiles, moins il faut les refuser parce qu’elles risquent de ne pas être prises en charge. Mais il faut poser des « dubia » si on désire agir avec sagesse. Les « dubia » ne sont pas à honnir, mais à louer ! Ils sont nécessaires impérativement pour atteindre la vérité, comme le dit saint Thomas dans son commentaire sur la Métaphysique.
Aline Lizotte
[1] « Le Collège des Évêques exerce le pouvoir sur l’Église tout entière de manière solennelle dans le Concile Œcuménique et, même dispersé dans le monde, quand, comme telle, cette action est demandée ou reçue librement par le Pontife Romain, de sorte qu’elle devienne un acte véritablement collégial.» Can 337 § 1-2
[2] Saint Thomas d’Aquin : In duodecim libros Metaphysicorum Aristotelis, L.III, lec.1
[3] … « quam quaerimus de primis principiis, et universali veritate rerum, necesse est ut primum aggrediamur ea de quibus opportet, dubitare, antequam veritas determinetur » loc. cit, n° 3
[4] On pourra lire dans le Pèlerin, le récit très émouvant de cette rencontre https://www.lepelerin.com/patrimoine/histoire/paul-vi-et-athenagoras-le-recit-dune-rencontre-en-terre-sainte-4868
[5] La véritable victoire se présenta plus tard, le 18 juillet 1870, quand le concile Vatican I, par les voix de 533 des 535 Pères présents, affirma la primauté universelle du pape comme de droit divin et définit que l’infaillibilité pontificale est une vérité de foi divinement révélée.
[6] Sens figuré : Qui forme un ensemble rigide, homogène
[7] Def : tranquille, silencieuse, douillette