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LA FRANCE EST AU BORD DE QUOI ?

En réalité, elle ne le sait pas bien ! Elle n’est pas au bord d’une guerre civile ! Une guerre civile ne se déclenche pas en quelques jours autour d’un événement improbable et imprévisible. Une guerre civile, cela se prépare, et surtout, suppose une idéologie reçue par une partie de la population qui cherche à remplacer, par le feu des armes, un gouvernement qui semble ne plus avoir l’appui du peuple. Se peut-il que les événements des derniers jours conduisent à une guerre civile ?  Peu probable, il faudrait pour cela que le gouvernement fasse preuve d’une grande faiblesse et que n’existe plus pour l’appuyer, qu’une partie du peuple, de plus en plus ténue, soutenue par des appuis financiers ou oligarchiques. Or, les jeunes adolescents – de quatorze à dix-sept ans – qui lancent des cocktails Molotov[1] pour mettre à feu les bâtiments administratifs, principalement les mairies (plus de 200 ont été détruites en France), n’ont ni la force politique, ni la force armée pour conduire une telle opération. Un gouvernement qui dispose de la force policière de 45 000 hommes, qui n’a pas l’intention de faire appel à l’armée pour maintenir l’ordre social, et qui, de plus, a l’approbation presque totale de la population qui a dépassé l’âge de l’adolescence, n’est pas en train de tomber.  Ce ne sont pas les idéologies d’une extrême gauche, par exemple celle d’un Ernesto Laclau, qui reprend les théories d’un trotskisme un peu vieillissant, qui suffira à faire entrer la France dans la guerre civile. Dire cela ne signifie pas que ces idéologies soient indifférentes et sans danger. Bien au contraire ! Mais, à l’heure actuelle, nos sociétés modernes, bien qu’elles soient dans des situations dangereuses, bien qu’elles fassent toujours face à des menaces plus graves qu’une agitation à coups de cocktails Molotov, préfèrent ignorer l’état dans lequel elles sont. Un incident qui soulève l’indignation générale peut être « allumeur » d’une insurrection générale. Pour le moment, elles se prélassent dans un libéralisme immoral et qui n’a aucun goût de l’héroïsme des combats douloureux.  

              Il faut donc retrouver un peu de calme ! Cela ne signifie pas qu’il faut être indifférent à ces événements. Ce sont les jeunes des banlieues, non seulement celles des grandes villes, mais même des villes de faible population, qui s’agitent. L’exemple le plus intéressant est l’attentat manqué de la maison du maire de L’Haÿ-les-Roses, Vincent Jeanbrun, attaquée par une auto blindée qui tentait d’entrer, en vue de brûler la maison. Aucun souci de ceux qui y logeaient et y dormaient, le maire était à la mairie. Sa femme et ses enfants ont pu sortir de leur maison et trouver refuge ailleurs ! Pourquoi attaquer ce maire ? Parce qu’il était, parmi d’autres, le représentant d’une France républicaine, une France objet de haine !

              Qu’est-ce qui nourrit cette haine ?  Ce n’est pas le racisme ! La mort de Nahel, tué par un policier irrité par la tentative du jeune de se soustraire à un ordre impératif, n’est pas un réflexe raciste. Cela ne ressemble en rien à l’écrasement du jeune Américain, George Floyd, étouffé par le policier sur la chaussée[2]. Dans ce lieu des États-Unis, on pouvait parler de racisme. Et c’est ce que l’on a fait, sans pour autant que la jeunesse se mobilise, comme le fait celle de nos banlieues !

              Ce n’est pas le racisme ? Alors quoi ?

              D’où viennent, non ces jeunes, mais leurs familles ? En grande partie, des anciennes colonies des pays occidentaux. Or, dans ces anciennes colonies, le passage à l’indépendance s’est relativement bien passé. Dans ces pays, le gouvernement d’abord local, a été remplacé par un gouvernement national qui a bénéficié de la sagesse de certains chefs comme Léopold Senghor au Sénégal et Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire. Ce ne fut pas le cas de l’Algérie, ni de la Guinée. En Algérie, au peuple d’origine africaine, était rattaché une forte implantation française dite « pieds noirs ». Elle était née en Algérie mais de culture européenne. Des mouvements idéologiques, comme le FLN[3], ont travaillé ce peuple, mouvements appuyés, on s’en souviendra, par une élite intellectuelle française de gauche. Le passage à l’indépendance a été douloureux, il s’est accompagné d’un refoulement des « pieds noirs » vers la France, laissant ainsi l’Algérie en situation économique difficile. Il y a eu la guerre à laquelle la France a mis fin par la négociation de l’indépendance.  Les Algériens qui s’étaient battus avec l’armée française, les Harkis, ont senti l’indépendance comme un abandon.  En un mot, que ce soit avec les Algériens, favorables à la France, et ceux qui suivaient le FLN, le sentiment de déception, de désamour ou même de haine s’est répandu dans la population. D’une façon générale, on n’aime pas la France. Non seulement on ne l’aime pas, mais on la hait.

              Et ceux qui franchissent le détroit de Gibraltar en marche vers la France, n’y viennent pas par amour, mais pour améliorer leurs conditions de vie. Comment s’en occupe-t-on ? Quelle sorte de logement trouvent-ils ? Quel travail exécutent-t-ils ?  Au fond, ils se définissent eux-mêmes comme ce qu’ils pensent avoir toujours été : des humains méprisés. On sait bien que ceux qui, dans les banlieues, tentent d’aider une partie de la population défavorisée, ne se trouvent pas seulement devant des situations de pauvreté. Il est vrai que toute personne défavorisée doit être aidée, quel que soit le sentiment qu’elle a d’elle-même ou de la personne qui l’aide. Mais le travail dans les banlieues pose un autre problème : même si les personnes aidées le sont, à titre de nouveaux citoyens français, et qu’elles reçoivent toutes les allocations d’aide sociale, il semble qu’elles gardent vis-à-vis de la France une certaine attitude de haine. C’est ce qui rend le travail des aidants difficile. Il y manque la chose la plus importante, l’amitié politique ! Et cela ne s’achète pas !

              À bien suivre de près les événements ces derniers jours, je me suis demandé s’il y avait des solutions à ce problème. Je me suis un peu étonnée de ne pas entendre le moindre son de voix de la part d’un épiscopat qui s’est retiré dans un silence majestueux, impénétrable, inaccessible. Comme si ces problèmes ne le regardaient pas ! Que les autorités officielles de l’Église ne se manifestent pas en plein tohu bohu des événements, c’est sage. L’autorité ecclésiale se trouve devant de vraies difficultés. La situation réelle est celle, non du racisme, mais d’une certaine haine de la France. Ce n’est pas une idéologie, c’est un vécu ! La France est perçue comme la puissance coloniale qui a maintenu les pays du Maghreb, surtout l’Algérie, dans une soumission politique qui a été le terrain fertile d’une haine excluant toute reconnaissance. C’est injuste ! Mais c’est ce qui a été retenu.

              C’est cet état d’esprit qui doit conditionner l’action de l’Église de France. II prend sa source dans les directives de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate : « Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté[4] ».  La question, en France, n’est pas celle d’un discours théologique ou dogmatique. Elle est plus concrète. La jeunesse qui manifeste est une jeunesse réelle ! Est-elle majoritairement musulmane ? Peut-être bien ! Mais c’est une jeunesse qui a besoin de l’amitié qui seule peut la sortir d’un enfermement fatal pour elle et dangereux pour nous.  La solution à cette question n’est donc pas principalement d’ordre politique. Elle appartient d’abord à ceux qui signalaient, voilà peu de temps, au Saint-Père, que la France était la Fille Ainée de l’Église. Cette fille est confiée d’abord au Corps épiscopal qui doit aimer non seulement l’Ainée mais même les révoltés qui ont besoin d’être aimés pour grandir. En un mot, il faut aider cette jeunesse à aimer ceux dont  on lui a transmis l’habitude de les haïr. Seuls, ceux qui ont appris le pardon et la purification des cœurs sont capables de cette mission. C’est ce qu’avait compris le cardinal Charles Lavigerie quand il considérait l’Algérie comme la porte ouverte sur l’Afrique.

Aline Lizotte


[1] Un cocktail Molotov est une arme incendiaire artisanale dont le composant principal est un liquide inflammable, habituellement de l’essence ou de l’alcool, contenu dans une bouteille en verre (Wikipédia).

[2] La mort de George Floyd, un homme noir de 46 ans, en mai 2020, a suscité une indignation généralisée après qu’une vidéo ait circulé en ligne. Elle montrait, au coin d’une rue de Minneapolis, l’officier Derek Chauvin tenant son genou sur le cou de M. Floyd qui haletait pour respirer (The New-York Times, 22/07/2022).

[3] Le FLN est créé en octobre 1954 pour obtenir de la France l’indépendance de l’Algérie, alors divisée en départements. Le FLN et sa branche armée, l’Armée de libération nationale (ALN) commencent alors une lutte contre l’empire colonial français. Par la suite, le mouvement s’organise et, en 1958, le FLN forme un gouvernement provisoire, le GPRA. C’est avec le GPRA que la France négocie en 1962 les accords d’Évian.

[4] Déclaration de Vatican II, Nostra Aetate, n° 3.