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La couronne et la croix

La couronne et la croix

Vous avez certainement remarqué la croix de procession qui ouvrait le cortège à l’entrée de l’abbaye de Westminster, au début du couronnement de Charles III ; ou plutôt du sacre, car la cérémonie était plus qu’une procédure institutionnelle, un véritable acte religieux. C’est bien ainsi que le nouveau roi d’Angleterre, fidèle à la tradition, l’a voulue.

Cette croix de procession, dite « Croix de Galle », avait quelque chose de remarquable que les commentateurs n’ont pas manqué de mentionner. Mais y ont-ils prêté l’attention voulue ? Au cœur de cette croix se trouve un petit reliquaire contenant deux minuscules morceaux de la Croix du Christ que le Pape François a offerts à Charles III à l’occasion de son couronnement. Il s’agit de tout petits morceaux dont l’un fait 10 mm de long et l’autre 5 mm.

Au vrai, ce cadeau interroge. Le temps n’est plus aux reliques ; et si naguère c’était un grand honneur de recevoir des reliques de la Passion du Christ en cadeau, cadeau en général offert par le patriarche de Constantinople comme le furent la Sainte Tunique à Charlemagne ou la Couronne d’épines à Saint-Louis, la mode en était bien passée. Que ce soit le Pape François qui renoue avec cette tradition abandonnée depuis des lustres ne manque pas d’étonner.

Les motifs d’étonnement sont nombreux en effet…

Une « vraie relique » de la « vraie Croix » ? On a relevé beaucoup trop de guillemets autour de ces mots, y compris dans la presse catholique. Nombreux sont ceux qui se demandent sans doute si cela est encore possible quand on sait qu’il en existe un nombre incalculable dont l’authenticité est plus que douteuse… Mais le Pape se serait-il permis ce geste sans être sûr de l’authenticité ? Compte tenu de la prudence de l’Église aujourd’hui sur le sujet, on peut être sûr que toutes les précautions ont été prises.

Ajouterai-je que ce n’est pas du Pape François que, a priori, on aurait attendu un tel geste ? Quelque esprit chagrin ou malveillant pourrait imaginer qu’il a voulu se débarrasser de vestiges d’une autre époque auxquels la modernité dénie toute valeur. Ce serait faire injure autant au donateur qu’au bénéficiaire : « Honni soit qui mal y pense ! »

Un tel cadeau fait à un Anglican ! Qui plus est au chef de l’Église anglicane, donc d’une Église séparée et avec qui les liens se sont plutôt distendus au cours des années récentes parce qu’elle admet maintenant des femmes aux ordres sacrés, y compris l’épiscopat, qu’elle bénit les unions homosexuelles, et qu’elle semble être en proie à toutes les dérives du conformisme socio-culturel actuel. On se tromperait encore en y voyant un clin d’œil de sympathie : qui pourrait soupçonner le Pape François de telles arrière-pensées ? Au demeurant, la Croix du Christ transcende toutes nos divisions. Sans doute l’intention œcuménique n’est-elle pas absente comme la cérémonie l’a montré de la part du roi Charles : mais celle-ci est placée au niveau du seul facteur possible d’unité, c’est-à-dire dans le Christ mort en croix et ressuscité.

Ces reliques sont incluses dans un reliquaire en cristal de roche. C’est le roi Charles lui-même qui a voulu les placer au centre de la croix de procession ! Ce faisant, il a adressé un message fort à son pays et au monde.

La cérémonie du 6 mai, toute religieuse, a renvoyé exactement à quelque chose de sacré qui s’incarne dans le roi ; sacré, donc mis à part. L’onction d’huile sainte, marque habituelle des sacrements (ici, d’un sacramental qui a toute sa légitimité), dont il a été marqué le dit explicitement. De ce sacré, comme l’était sa mère, le roi Charles est très conscient. Il sait que sa royauté ne doit rien à ses propres mérites ; ni à un compromis politique ; encore moins à une quelconque onction populaire. Sa couronne, il la reçoit en vertu d’une très vieille loi qui, au fond,
ne dépend pas des hommes mais qui réfère le roi à Dieu, source de tout pouvoir et de toute justice, et qui l’oblige, quoi qu’il en veuille.

La royauté, quand elle est ainsi sacralisée, transcende toutes les considérations politiques ou idéologiques : elle peut alors incarner une nation, s’exprimer comme un signe dans lequel tous les « sujets » du royaume sauront se reconnaitre : les Anglais ont su nous le montrer, encore une fois. Quel royaume dans notre Europe naguère chrétienne et si prompte désormais à se renier, et quel roi ou quelle reine parmi les têtes couronnées de cette Europe, toutes plus ou moins désacralisées
et banalisées, quand elles ne sont pas dévoyées dans les mondanités ou l’affairisme, pouvaient encore assumer un tel symbole ?

Le roi ne s’appartient pas : c’est d’ailleurs pour cela qu’au moment du couronnement Charles III a été revêtu du lourd manteau du sacre dont on devine quel fardeau il symbolise. Oui la royauté est bien une charge, dans tous les sens du terme : autant un service qu’un fardeau qui ne vous lâche jamais et qu’on ne saurait déposer sans renier le serment prononcé avant de recevoir la couronne : serment de servir, de rendre la justice, de faire le bonheur de son peuple. La reine
Elisabeth II l’avait bien compris et Charles est fidèle à l’héritage qu’il a reçu d’elle.

Le Christ n’est pas descendu de la Croix. Il est donc juste que la relique ait trouvé sa place dans la croix de procession, en tête du cortège, pour rappeler au Roi à quel signe il allait s’attacher et pour quel sacerdoce il allait s’engager. C’est pourquoi il mérite vraiment le titre de « defensor fidei » dont Henry VIII (avant son schisme) fut le premier de la lignée à être gratifié, par le Pape lui-même d’ailleurs. Que le Pape François se soit accordé avec le roi Charles III pour le manifester à
la face du monde en notre temps : voilà un fort témoignage de grande portée politique.

Le roi doit donc, lui aussi, porter sa croix jusqu’au bout. Puisse le roi Charles III être fidèle à ce à quoi il vient de promettre. À défaut de pouvoir le faire pour le nôtre, nous prierons donc pour lui.

François de Lacoste Lareymondie