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FIDUCIA SUPPLICANS, UNE NOUVELLE THÉOLOGIE DE LA BÉNÉDICTION ?

Le préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Victor Manuel Fernandez après avoir publié sa DÉCLARATION Fiducia supplicans doit maintenant faire face aux réactions qui s’amplifient parmi les évêques et le clergé. Ces réactions sont compréhensibles. Tout en maintenant formellement l’enseignement traditionnel sur le mariage, la déclaration autorise, à des conditions particulières, la bénédiction de couples en situation dite « irrégulière » et la bénédiction de couples homosexuels.  Les arguments pour justifier cette « ouverture » qualifiée de « pastorale », au nom de la « miséricorde », ne posent pas tout à fait les mêmes problèmes lorsqu’il s’agit de personnes formant un couple homosexuel ou de personnes formant un couple hétérosexuel. Pour tenter de démêler les ambiguïtés concernant les couples homosexuels, il convient de préciser brièvement ce qu’est un sacrement, ce qu’est un sacramental, et en quoi consiste la nature du mariage. Ce rappel éclairera certaines des difficultés ou des équivoques du texte à propos de la bénédiction et de son objet. Enfin nous verrons que les circonstances dans lesquelles le texte a été conçu peuvent interroger.

I Sacrements, sacramentaux et mariage

L’Église est responsable, par ses enseignements, de la foi des chrétiens. Par ses secours, ses prières, ses intercessions, elle porte leur espérance. Par sa charité, elle les invite à l’amour envers Dieu et envers toute personne. Dispenser les sacrements et les sacramentaux s’inscrit dans cette mission Mais l’Église qui enseigne et qui soutient la vie des chrétiens est d’abord dépositaire de ce que le Christ lui a confié.

L’Église est d’abord responsable de ce que Dieu lui-même lui a révélé et de la mission d’enseigner qu’il lui a confiée. Par la Loi naturelle ellefait connaître la loi divine et les Droits divins. Par la vie sacramentelle, elle nous donne les moyens d’y répondre.

Ces moyens, il faut le souligner, sont institués par Jésus-Christ. L’Église peut, par ailleurs, par son Ministère créer et promulguer beaucoup d’actes, de prières, de symboles qui préparent les personnes à recevoir un sacrement. Elle peut demander certains actes de culte, par exemple la messe du dimanche, la confession une fois l’an, quelques jours de jeûne, surtout en carême. Elle peut obliger d’accomplir ces actes de culte sous peine de péché. Elle peut aussi donner son aval, sous forme de bénédiction, à certaines pratiques de dévotion, comme l’adoration du Saint-Sacrement, des neuvaines, des pèlerinages, des images etc. Ce sont des sacramentaux. Mais elle n’est ni l’auteur de la loi naturelle crée par Dieu, ni des sacrements institués par le Christ.

C’est donc par les sacrements que l’on comprend le rôle des sacramentaux. Alors que les sacrements sont des signes sensibles institués par Jésus-Christ, les sacramentaux sont aussi des signes sensibles qui, sous la gouvernance et l’aide de l’Église, préparent les fidèles à recevoir les sacrements. Tels sont les prières, les chants, les images, certains actes rituels comme le bénédicité et les grâces, les neuvaines, les retraites etc. Ainsi l’Église encourage fortement les personnes qui se préparent au mariage à prendre quelques jours de « prière » et à recevoir le sacrement de la réconciliation avant de recevoir le sacrement de mariage.

Pour l’Eglise le mariage est, ainsi, une réalité naturelle créée par Dieu dès l’origine, comme en témoigne le récit de la genèse. Cette réalité est devenue un sacrement institué par le Christ. Selon l’économie de la rédemption le mariage sacramentel n’appartient donc plus à la seule vie naturelle mais est ouvert à la vie surnaturelle.

Ainsi, le mariage, élevé par le Christ à la « dignité de sacrement », dépasse en dignité le mariage civil. Le mariage civil fait de l’homme et de la femme un époux et une épouse. Ni les animaux ni les anges se marient. Seuls les humains se marient. Ils accomplissent ainsi la mission que Dieu leur a confiée : « Soyez féconds et multipliez-vous » (Gn 1, 27). Leur mutuel amour devient par le sacrement, non seulement source de fécondité et de bonheur, mais image de l’amour divin du Christ pour son Église. En dehors de l’union naturelle de l’homme et de la femme aucune autre forme de relation sexuelle ne peut donc, ni de près ni de loin, ressembler à un mariage sacramentel.

Mais Fiducia supplicans, tout en rappelant clairement cet enseignement, laisse entendre que la « bénédiction » d’une union entre deux personnes de même sexe pourrait être acceptable pour l’Église catholique à condition qu’elle n’ait aucune ressemblance avec le mariage sacramentel. Pour parvenir à cette acceptabilité sous conditions la déclaration propose des distinctions et des définitions qui pour certaines sont nouvelles. C’est là toute la difficulté du document, et pour beaucoup d’évêques et de théologiens son ambigüité.II Les difficultés de Fiducia supplicans

Pour tenter de clarifier la réception de ce document dont les implications et les non-dits sont complexes à déchiffrer, trois points méritent d’être examinés :

  • Une absence grave de définition de l’objet, c’est-à-dire de l’union qui est bénie.
  • Les conséquences troublantes qui en résultent en théologie morale.
  • L’absence de consultation épiscopale sur ces points.

A) La question de l’objet.

Le but du document est inscrit dans ses premières lignes : offrir une contribution spécifique et innovante à la signification pastorale des bénédictions, qui permette d’en élargir et enrichir la compréhension classique trop étroitement liée à une perspective liturgique. C’est principalement dans ce contexte qu’il est possible de comprendre la possibilité de bénir les couples de même sexe, sans valider officiellement leur statut et modifier quoique ce soit de l’enseignement pérenne de l’Église[1].

La question porte donc sur la question de l’objet de la bénédiction. Comme il a été dit plus haut une bénédiction est un signe sensible qui fortifie notre foi et nous rend réellement conscient de la puissance de Dieu et de la perpétuité de son amour. Toute bénédiction est un sacramental. Elle a comme fonction : 1° de préparer la personne à la réception du sacrement ; 2° d’opérer une purification ; 3° de chasser les démons[2] ; 4°de donner une solennité à l’acte sacramentel. La question est alors de savoir s’il est possible de donner à l’union de personnes du même sexe une forme de bénédiction qui rendrait acceptable leur union sexuelle. Pour guider notre réflexion interrogeons-nous selon trois directions [3] : la réalité objective, la finalité et les conséquences de cet acte. 

 La connaissance de l’objet relève de la saisie par l’intelligence, portée par la raison, de l’objet d’un acte de la volonté. Ce jugement dit ce qui est bien et ce qui est mal, sans se laisser influencer par les circonstances. Par exemple : est-il possible de voler de l’argent pour venir en aide aux pauvres ? Voilà l’objet d’une question de théologie morale. L’objet du document Fiducia supplicans, n’est pas une interrogation. Il n’est pas non plus une simple réflexion. Il se présente comme une décision du Pontife romain. Voyons cela !

Pour introduire sa réflexion[4] le document formule la distinction suivante. Il y aurait des bénédictions ritualisées et des bénédictions pastorales. Les bénédictions ritualisées s’adressent à des actes dont la nature est connue par l’Église, conforme à l’Évangile, correspondant à la volonté de Dieu en tant que Créateur et Sauveur, comme nous l’avons dit en commençant. Elles sont formellement données en des circonstances bien définies, par exemple : la bénédiction nuptiale, celle qui accompagne l’Office psalmodique, la bénédiction publique donnée par celui qui reçoit les vœux de religion. On peut aussi parler des bénédictions des fiançailles.

Une telle bénédiction ritualisée ne peut être donnée à une union de personnes en situation irrégulière.  Trop près de la bénédiction sacramentelle, cette bénédiction apparaitrait comme contraire à la volonté de Dieu, contraire à l’Évangile et contraire aux actes de l’Église. Et Fiducia supplicans le concède. L’Église ne peut pas bénir publiquement une union sexuelle de personnes de même sexe parce que l’Église, dit le document, a enfermé toute licéité de l’union sexuelle dans le cadre du mariage. Il lui est non seulement difficile mais impossible de donner une valeur à une bénédiction nuptiale dans un autre cadre que celui du mariage[5]. En conséquence, si on veut trouver une formule moralement acceptable pour justifier l’union sexuelle des personnes en situation irrégulière, il faut sortir de la ritualisation des bénédictions données par l’Église. Pour sortir de l’impasse, la déclaration suggère de prendre une certaine liberté vis-à-vis des interprétations jugées trop étroites, pour se trouver « dans un domaine de plus grande spontanéité et liberté »[6]. C’est ce que Fiducia supplicans nous invite à faire.

Pour y parvenir, le document introduit donc une notion nouvelle : celle de bénédiction « pastorale », non ritualisée et non donnée publiquement. Comme si toute bénédiction, sacramentelle ou non, n’était pas aussi « pastorale » ! Si on regarde l’Écriture Sainte, l’Ancien et le Nouveau Testament, on trouve, en effet, beaucoup d’exemples de bénédictions non ritualisées : Rebecca est bénie par sa famille (Gn 24,60). Moïse et Aaron bénissent le peuple d’Israël (Ex 39,43) etc. Et dans le Nouveau Testament, il y a toutes les bénédictions de Jésus… Elles ne sont pas ritualisées !!! Il y a donc, dans l’Église, diverses formes de bénédictions qui ne sont pas accompagnées du rituel de la bénédiction.  Elles sont un recours à Dieu pour demander son aide, pour s’appuyer sur sa consolation, pour marquer une solidarité. Ce sont les bénédictions ascendantes qui vont du Fils vers le Père ; leur correspondent les bénédictions descendantes du Père vers le Fils.  Ces bénédictions impliquent toujours la transcendance divine, la bonté de Dieu vers celui qui crie vers lui. Comme l’enseigne le Pape François, toute bénédiction qu’elle soit « pastorale » ou ritualisée est « une demande d’aide adressée à Dieu, une prière pour pouvoir vivre mieux, une confiance en un Père qui peut nous aider à vivre mieux »[7].

Ainsi la bénédiction, pastorale, à laquelle Fiducia supplicans consentest un geste symbolique, un signe de croix, un cri vers le Seigneur, peut-être une prière, donnée dans une absence totale de toute autre condition. Rien n’empêchera cependant de « fêter » en grande pompe ce que ces personnes proclameront : un mariage homosexuel. Le curé ayant disparu, ils sont dans la liberté de faire ce qu’ils veulent !

B) La finalité de la déclaration

Cette analyse de la Déclaration promulguée par le dicastère de la Doctrine de la Foi ne cherche donc pas vraiment à aider les personnes de même sexe à mieux vivre leur inclination naturelle toute en respectant le jugement de l’Église. Elle a comme objet formel de trouver une formule acceptable qui permette de bénir deux personnes qui, non seulement ont une inclination homosexuelle, mais qui la mettent en pratique, et à l’insérer dans une certaine spiritualité ecclésiale. En conséquence, elle ignore l’analyse de l’acte lui-même ; son objet est totalement ignoré. Au lieu de cela elle s’appuie sur une opinion dite « populaire », que par ailleurs elle critique, en mettant l’Église en garde contre « des schémas doctrinaux et disciplinaires » qui conduisent à l’élitisme et lui font oublier qu’elle ne doit être que miséricorde[8]. Une miséricorde dont on ne dit pas non plus ce qu’elle est (point qu’il serait important de préciser et sur lequel nous reviendrons.)

L’une des premières finalités de ce document est donc d’abandonner une vision ritualisée qui ne produit que des exclus et de recourir à une bénédiction pastorale, la seule qui tiendrait compte de la souffrance intérieure de ces personnes qui se considèrent comme des ayant-droit de l’amour divin qui bénit tout le monde. Seule cette attitude pastorale de l’Église pourrait, comme l’insinue la déclaration, amener ces personnes à un changement intérieur quand elles se rendront compte, avec l’aide de Dieu, que cette bénédiction reconnait ce qui est bon et vrai en elles et qu’elle ferme les yeux sur ce qui mauvais, comme elle doit le faire vis-à-vis de toute personne puisque nous sommes tous « pécheurs ». Cependant, sommes-nous vraiment devant une formule nouvelle de bénédiction ? Ou devant sa caricature ?

C) Conséquences troublantes  

Les distinctions entre bénédictions ritualisées et pastorales n’apportent aucune solution au problème qui se pose vis-à-vis d’une éventuelle union des personnes homosexuelles. Une bénédiction est une bénédiction, qu’elle soit la conclusion rituelle de la messe, celle d’une adoration du Saint Sacrement, celle de l’union nuptiale, celle de la prononciation des vœux de religion. Ce qui est bénit, ce sont les personnes en relation avec l’acte qu’elles posent. Lorsque deux personnes de même sexe demandent une bénédiction, en tant qu’elles ont constitué un « couple » par une déclaration civile ou autrement, elles demandent l’approbation de l’Église sur leur couple.

Qu’elles ne puissent demander une bénédiction ritualisée est compréhensible, puisqu’il n’y a pas de rite. La déclaration, faite à la mairie, n’est pas une déclaration rituelle, mais une déclaration qui change l’état civil. Si l’Église catholique ne peut pas accorder[9] une bénédiction ritualisée, elle ne peut pas davantage accorder une bénédiction « pastorale ». Bien que, dans le sacrement de mariage, elle n’agisse pas comme « ministre », elle ne peut, en aucun cas, s’engager à un approbation « pastorale » à laquelle elle ne peut accorder son assentiment. Si le ministre, le pasteur, ne peut donner une bénédiction ritualisée, il ne peut pas davantage donner une bénédiction « pastorale ». Si la distinction « ritualisée » ou « pastorale » devenait une distinction canonique qui recevrait désormais l’autorité de l’Église – mais où cela est-il écrit dans le code de droit canonique ? –  elle ne pourrait cependant être utilisée que comme un signe des grâces divines, peu importe les circonstances de lieu et de temps qui l’accompagnent.

 Bien que les époux soient les ministres du sacrement institué par Jésus-Christ, ce sacrement est confié à l’Église quant à l’intégrité de sa nature et de ses propriétés. La bénédiction qui l’accompagne et qui est donné aux époux n’est pas le sacrement ; mais un sacramental qui dispose les personnes à bien recevoir les grâce que ce sacrement apporte et apportera tout au long de leur vie. Il n’y aura donc jamais, dans l’Église, de sacrement pour bénir l’union des personnes de même sexe. En conséquence il n’y aura jamais de sacramentaux pour les disposer à une certaine forme vacataire d’une union dont le fondement est intrinsèquement contre le droit divin. Ce serait une injure faite à Dieu, faite non seulement par ceux qui l’utiliseraient, mais, encore plus grave, par ses propres ministres. C’est ici que se comprend la réaction de nombreux prêtres et de nombreux évêques et que se pose la question de la portée de cette déclaration. 

II L’exclusion du Collège épiscopal

Vatican II a mis l’accent sur le lien des Évêques avec le Pape. Mais il n’a pas précisé les liens des Congrégations de la Curie Romaine avec le Pape. Il n’avait pas à le faire, car les Congrégations, comme on les désignait à l’époque, les Dicastères comme on les désigne maintenant, n’ont, selon le Droit, aucun pouvoir qui leur soit propre. Ce sont les « instruments » avec lesquels le Pape travaille. Lele canon 331 du code de droit synthétise la doctrine de Vatican I et de Vatican II : L’évêque de l’Eglise de Rome, en qui demeure la  canon charge que le Seigneur a donnée  d’une manière singulière à Pierre, premier des Apôtres, et qui doit être transmise à ses successeurs, est le chef du Collège des Evêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l’Eglise tout entière sur cette terre ; c’est pourquoi il possède dans l’Eglise, en vertu de sa charge, lepouvoir le ordinairessuprêm, épiscopal, immédiat et  universel qu’il peut toujours exercer librement. »  Le Dicastère n’a en lui-même aucun pouvoir d’obliger les évêques à suivre ses directives. Mais il a le « pouvoir » d’expliquer les décisions du Pape et de les faire connaitre dans leur contenu et leurs applications.  Car le travail d’un dicastère n’est pas de donner une définition dogmatique qui demande une obéissance de la foi, ni de conduire à un assentiment religieux, ni même d’induire un respect de l’autorité pontificale[10]. Il est de préparer un enseignement ou une décision que le pape rendra publique et à laquelle il demandera d’adhérer selon l’autorité qu’il lui donnera et selon l’obligation qui s’y attachera. En ce qui concerne Ficucia supplicans, le Pape François a signé ce document et autorisé sa publication. Il n’a pas déterminé le degré auquel il attache son autorité ni l’obligation de l’appliquer.

On peut quand même constater que cette déclaration a été rédigée motu proprio, sans aucun souci de collaboration avec les évêques ni aucune consultation. Compte tenu de la gravité du sujet, des propositions nouvelles qu’elle contient, des situations diverses dans lesquelles se trouvent les Églises locales, une plus grande prudence aurait peut-être été nécessaire. Non seulement une prudence, mais aussi une connaissance plus approfondie des situations décrites et des problèmes qu’elles causent selon les pays et selon les cultures. Aline Lizotte


[1] Fiducia supplicans, Introduction

[2] Super Sent., lib. 4 d. 24 q. 2 a. 3 co ;  Super Sent., lib. 4 d. 7 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 ;  De malo, q. 7 a. 12 co ; III, q. 66 a. 3 ad 5 etc

[3] Cf : Jean Paul II, Veritatis Splendor…

[4] Ces distinctions sont propres à l’auteur, elle n’existent pas dans les documents ecclésiastiques, par exemple le Droit Canon

[5] Cf, Fiducia nos 4-13

[6] Idem,  no, 23

[7] Idem,  no, 21

[8] Idem, no 25

[9] Et d’ailleurs aucune Église

[10] Cf : Lumen Gentium, no25