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DILEXIT NOS

Sur un sujet atemporel, le Cœur Sacré de Jésus, le pape François livre au monde et pour notre temps une longue encyclique sur le Sacré-Cœur. Voici quelques raisons de la lire.

En publiant, au lendemain de la clôture du synode sur la synodalité, une encyclique sur le Sacré-Cœur le pape, une fois de plus, a surpris son monde. Peu de commentaires en ont été publiés dans les médias. La dévotion au Sacré-Cœur n’est pas un sujet d’actualité. Pour la plupart de nos contemporains, y compris chrétiens, à supposer qu’ils en aient entendu parler, il ne s’agit souvent que d’une dévotion privée, un peu sentimentale, loin des grandes préoccupations religieuses, politiques, sociales et économiques du moment.

Le Sacré-Cœur, centre du monde

Face à cet effacement le Pape nous invite à retrouver le chemin de notre cœur et à remettre la dévotion au Sacré-Cœur au centre de notre vie de foi :

« Dans ce monde liquide, il est nécessaire de parler à nouveau du cœur, d’indiquer le lieu où toute personne, quelle que soit sa catégorie et sa condition, fait sa synthèse ; là où l’être concret trouve la source et la racine de toutes ses autres forces, convictions, passions et choix. » (N°9)

Et plus loin : « En définitive, le Sacré-Cœur est le principe unificateur de la réalité, (car) le Christ est le cœur du monde ; sa Pâque de mort et de résurrection est le centre de l’histoire qui, grâce à Lui, est histoire de salut… Je demande au Seigneur d’avoir à nouveau compassion pour cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous » (N°31)

Sur la forme, ce document est inhabituellement long. Les textes du magistère sur le Sacré Cœur depuis Léon XIII ne dépassent pas 15 000 signes. Haurietis Aquas in Gaudio, la grande encyclique de Pie XII « Sur le culte rendu au Sacré-Cœur de Jésus », est en comparaison d’une grande concision. Le texte de Dilexit Nos, lui,est un peu touffu. Le plan, en dépit des parties annoncées, n’est pas toujours très clair. Certains lui reprocheront des redites.

Sur le fond, il ne faut pas non plus s’attendre à des nouveautés théologiques ni à des décisions nouvelles. Cette encyclique est une sorte de compendium de la doctrine du Sacré-Cœur enseignée par l’Église. Les arguments employés sont pour l’essentiel repris des textes précédents. Les réponses aux objections à la dévotion du Sacré Cœur, connues depuis longtemps, ne sont pas nouvelles.

En revanche, la ligne d’ensemble manifeste clairement la centralité du cœur pour chaque personne, à la fois d’un point de vue naturel et surnaturel. Le pape développe ce thème assez longuement en introduction de son encyclique. Il a cette formule, « Je suis mon cœur, car c’est lui qui me distingue, me façonne dans mon identité spirituelle et me met en communion avec les autres. » (N°14). Ce qui est vrai de chacun peut aussi être dit, d’une certaine manière, du Christ vrai Homme et vrai Dieu : « Allons vers le Cœur du Christ, le centre de son être qui est une fournaise ardente d’amour divin et humain et qui est la plus grande plénitude que l’homme puisse atteindre. C’est là, dans ce Cœur, que nous nous reconnaissons finalement nous-mêmes et que nous apprenons à aimer. » (N°30)

Un compendium de la dévotion au Sacré-Cœur

L’abondance des citations est impressionnante. Le Pape s’appuie, comme il est traditionnel, sur l’Ancien et le Nouveau Testaments, les Pères et les grands docteurs de l’Église. De très nombreux saints sont aussi convoqués par le Pape, en particulier les saints français qui, à partir des apparitions de Paray-le-Monial à Marguerite-Marie, de saint Claude de la Colombière jusqu’à sainte Thérèse, vont être les apôtres du Sacré-Cœur. L’encyclique reprend enfin, en les citant ou en y faisant explicitement référence, les encycliques de ses prédécesseurs :

  • Annum sacrum  de Léon XIII qui, le 25 mai 1899, consacre le genre humain au Sacré-Cœur de Jésus ;
  • Miserentissimus Redemptor, l’encyclique de Pie XI du 8 mai 1928 « Sur les prières et les sacrifices à présenter au Sacré-Cœur dans les épreuves présentes du genre humain » : ce Pape de l’entre-deux guerres y développe toute une théologie de la consécration et de la réparation comme « synthèse de la religion » ;
  • Enfin Haurietis Aquas in Gaudio (15 mai 1956), de Pie XII qui propose à son tour la dévotion au Sacré-Cœur « comme remède aux maux du monde moderne » et dont il montre toute l’étendue et la profondeur théologique : « C’est à bon droit… que le Cœur du Verbe incarné est considéré comme le signe et le principal symbole de ce triple amour dont le divin Rédempteur aime et continue d’aimer son Père éternel et tous les hommes, car il est le symbole de cet amour divin qu’il partage avec le Père et l’Esprit‑Saint, mais qui pourtant, en lui seul, en tant que Verbe fait chair, se manifeste à nous par son corps humain périssable et fragile puisque  » c’est en lui qu’habite corporellement toute la plénitude de la divinité « . Il est, de plus, le symbole de cet amour très ardent qui, répandu dans son âme, enrichit la volonté du Christ, et dont les actes sont éclairés et dirigés par une double science très parfaite, à savoir la science bienheureuse et infuse. Enfin, il est aussi ‑ et cela d’une manière plus naturelle et directe ‑ le symbole de son amour sensible, car le Corps de Jésus‑Christ, formé par le Saint‑Esprit dans le sein de la Vierge Marie, jouit d’un pouvoir de sentir et de percevoir très parfait, plus, assurément, que tous les autres corps des hommes. » (HA N° 27)

Car, écrit encore Pie XII, « le Cœur de Jésus‑Christ, uni hypostatiquement à la divine Personne du Verbe a, sans aucun doute, palpité d’amour et de tout autre sentiment, et cependant, tous ces sentiments étaient en parfait accord et s’harmonisaient, et avec sa volonté d’homme pleine de divine charité, et avec l’amour divin lui‑même que le Fils partage en commun avec le Père et avec l’Esprit‑Saint, de telle sorte qu’il n’y eut jamais entre ces trois amours aucun manque d’accord ou d’harmonie. » (HA N° 22)

Ces textes admirables, le pape les évoque ou les cite. L’immense mérite de cette encyclique est donc de sortir d’un relatif oubli un enseignement et une dévotion très présents parmi les chrétiens à la fin du XVIIIème siècle et au XIXème siècle. Une dévotion qui a eu tendance à s’estomper après les deux guerres mondiales pour des raisons que développe François.

L’encyclique remet ainsi au gout du jour pour l’Eglise tout entière une doctrine classique depuis les grandes apparitions du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie de 1673 à 1675, et celle plus particulièrement destinée à la France de 1689. Cette dévotion qui puise ses racines dans l’Ancien et le Nouveau Testaments, appartient, comme le montre le pape, à une longue tradition bien antérieure aux apparitions de Paray-le-Monial.

La place de la dévotion au Sacré-Cœur chez les jésuites

François, premier pape jésuite de l’histoire, ne manque pas de rappeler que les jésuites ont particulièrement reçu la mission de la faire connaitre. Elle est liée à leur spiritualité depuis saint Ignace, et à leur histoire depuis que saint Claude de la Colombière fut le directeur spirituel de Marguerite-Marie.

Pour mémoire, la Compagnie de Jésus a été consacrée au Sacré Cœur en 1872 par le Supérieur Général Pieter Jan Beckx. En 1883, la 23ème Congrégation Générale a approuvé le décret 46 : « Nous déclarons que la Compagnie de Jésus accepte et reçoit avec un esprit débordant de joie et de gratitude la charge très douce (munus suavissimum) que lui a confiée notre Seigneur Jésus-Christ de pratiquer, promouvoir et propager la dévotion à son très divin Cœur ». En 1915 cette charge est confirmée avec la création de l’Apostolat de la Prière devenu depuis le Réseau Mondial de Prière du pape.

Un siècle plus tard, le 31 juillet 1972 en la fête de saint Ignace, le père Pedro Arrupe, Supérieur Général, à l’occasion de la clôture de l’année ignatienne, a renouvelé cette consécration au sanctuaire de Loyola.

Dix ans après, en 1983, à l’invitation de saint Jean Paul II, lors de sa 33ème Congrégation Générale la Compagnie de Jésus déclare solennellement à nouveau qu’elle « accepte et reçoit avec un esprit débordant de joie et de gratitude, le doux fardeau que notre Seigneur Jésus-Christ lui a confié, pour pratiquer, promouvoir et propager la dévotion à son très divin Cœur ».

Plus récemment encore, le P. Arturo Sosa, successeur du Père Pedro Arrupe, à l’occasion de la célébration de clôture de l’année ignatienne au sanctuaire de Loyola en Espagne, a renouvelé une fois de plus la consécration de la Compagnie au Cœur de Jésus : « Dans cette basilique emblématique de Loyola, nous voulons renouveler notre désir de suivre de plus près le Jésus pauvre et humble des Évangiles et de contribuer à annoncer la proximité du Royaume de Dieu à tous les peuples. En signe de notre intention de continuer à cheminer avec Ignace, en compagnie de toutes les communautés jésuites à travers le monde, nous renouvellerons notre consécration au Sacré-Cœur de Jésus, qui nous ouvre à l’action missionnaire, guidée par l’Esprit du même Seigneur que nous suivons et annonçons… »

Rendre le culte du Sacré-Cœur au monde

Le pape jésuite ne pouvait donc pas faire moins que d’élever, à son tour au niveau le plus élevé du Magistère, cette dévotion et d’appeler les chrétiens du monde entier à la pratiquer et à la faire connaitre. Le Saint Père nous demande de remettre le Sacré Cœur au cœur de notre vie et nous invite à accueillir l’infini mystère de miséricorde qui jaillit du cœur transpercé du Christ. En fils spirituel de saint Ignace, il conclut ainsi par cette prière : « Je prie le Seigneur Jésus-Christ que jaillissent pour nous tous de son saint Cœur ces fleuves d’eau vive qui guérissent les blessures que nous nous infligeons, qui renforcent notre capacité d’aimer et de servir, qui nous poussent à apprendre à marcher ensemble vers un monde juste, solidaire et fraternel. Et ce, jusqu’à ce que nous célébrions ensemble, dans la joie, le banquet du Royaume céleste. Le Christ ressuscité sera là, harmonisant nos différences par la lumière jaillissant inlassablement de son Cœur ouvert. Qu’il soit béni ! » (N° 220).

Puisse cette prière être entendue.

Thierry Boutet