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Bénédiction aux personnes de même sexe

            On ne peut pas dire que la Déclaration du dicastère pour la Doctrine de la Foi, sur la bénédiction des unions entre personnes de même sexe, aura été mise au secret. Moins de 36 heures après sa publication, il y avait un article du New York Times, accompagné d’une photographie. Il était signé du Père jésuite James Martin[1] – un défenseur de longue date du changement de l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité. L’article le montrait bénissant un couple de même sexe et faisant très clairement valoir « son sachant » que le pape François lui avait donné la permission et l’encouragement de le faire. Le Père Martin a également tweeté, le jour de la publication du document : « En tant que prêtre, j’ai hâte de bénir les couples de même sexe, en partageant avec eux les grâces que Dieu désire pour tout le monde, quelque chose que j’ai attendu des années pour le faire ». Eh bien, voilà, même Dieu est convié à se réjouir du changement qui, « enfin », s’opère dans l’Église catholique. Ce n’est pas peu dire !

QUE VEUT DIRE « BÉNIR » ?

              Il faudrait essayer de reprendre ses esprits et se poser la question : de quoi s’agit-il ? En premier, cherchons à comprendre ce qu’est une bénédiction. Le mot, qu’il soit en latin (benedicere) ou en français (bénédiction), affirme que ce que l’on bénit est « bon » et mérite gloire, louange ou aide. Ainsi, on bénit Dieu parce qu’il mérite, – et combien ! -, gloire et  louanges. Si ces bénédictions accompagnent une liturgie, elles sont des bénédictions liturgiques. Ainsi, il y a les bénédictions de la messe : le Gloria, le Sanctus (« Saint, Saint, Saint le Seigneur ») et la préface qui le prolonge : « Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire ». Avant de renvoyer les fidèles à leur travail, – « Ite, missa est » (« Allez, la messe est dite ») –, il y a la dernière bénédiction, le rite de conclusion : « Que Dieu tout puissant vous bénisse, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ».   

              S’ajoutent au sacrifice de la messe les divers moments liturgiques : la bénédiction du Salut du Saint-Sacrement ; les bénédictions de l’office divin, dont chaque psaume se termine par un  « Gloire au Père, au Fils et à l’Esprit Saint », qui dit la louange pour tout l’univers ; s’y ajoute l’hymne final des Laudes: « Benedictus Dominus Deus Israël » (« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël ») ; et celui des Vêpres, qui reprend les louanges de la Vierge Marie : « Magnificat anima mea Dominum et exultavit spiritus meus in Deo Salutari meo ». (« Mon âme glorifie le Seigneur et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur »). L’Église regorge de bénédictions liturgiques, de bénédictions sacramentelles. Il y a la première bénédiction, celle du baptême et  de la confirmation, reçue quand le jeune quitte l’enfance pour se préparer à cette longue responsabilité de sa vie d’adulte. Il y a la bénédiction qui accompagne le pardon de Dieu, celle qui accompagne les grandes consécrations de la vie, celle du mariage, de l’ordination sacerdotale, des vœux de la vie religieuse. Il y a le secours spirituel de l’Église qui fortifie celui qui est malade quand son corps donne des signes de l’approche de la fin de la vie. On peut donc dire que tous les gestes importants dans la vie des hommes, de leur baptême jusqu’à leur mort, sont remplis de bénédictions. Le chrétien bénit Dieu et il est béni par Dieu.

              Une bénédiction n’est donc pas, essentiellement, une prière de demande ; elle est une prière de louanges. Nous bénissons Dieu parce qu’il est bon et que sa bonté nous réjouit le cœur ! Quand nous disons le Notre Père, nous commençons par bénir le nom de Dieu, le règne de Dieu et sa volonté. Et ce n’est qu’à la quatrième demande que nous lui montrons nos faiblesses et qu’on a besoin de son aide : les biens de la vie, la nécessité du pardon, la victoire sur les tentations et la délivrance de tout mal (c’est-à-dire le salut éternel). Cette prière, la plus parfaite, est faite pour nous et en même temps, elle est une gloire à Dieu. Elle élimine tout doute sur la puissance qu’a Dieu de nous exaucer. Elle est presqu’un « ordre » adressé à Dieu : « Donne-nous » ! Mais il faut le demander ! Ce n’est pas un droit, c’est une prière ! Voilà le premier sens du mot « bénédiction ». Nous bénissons Dieu en affirmant qu’il est « bon » et Dieu nous bénit en nous donnant la certitude que nous sommes ses enfants et qu’Il est « Notre Père ».

              Les hommes se bénissent entre eux. Le « père de famille » bénit ses enfants dans des moments solennels[2]. Les religieux et les religieuses sont bénis par leur supérieur. Nous bénissions la table, même si, en France, après avoir bien mangé, nous oubliions d’en rendre grâce. Les parents pourraient bénir leurs enfants en les envoyant à l’école plutôt que de leurs faire des tas de recommandations qu’ils n’écoutent pas.

LA BÉNÉDICTION DES CHOSES

        Non seulement il y a les bénédictions liturgiques données par les ministres du Seigneur et le retour de gratitude des hommes vers Dieu . De plus,  il y a, entre les hommes et les femmes, les bénédictions des actes et des choses relatifs à leur travail et à leur vocation. On demande la bénédiction pour tous les objets et les animaux que l’on utilise. Au jour des Rogations, encore très fêtées, on demande liturgiquement la protection et la fécondité du travail des champs, culture de la terre et soins des animaux. Et on fait bénir sa maison, sa voiture, son ordinateur ! Tout cela, c’est la vraie vie chrétienne où le Seigneur est présent dans toutes les amitiés et les devoirs. Vue de cette façon, la bénédiction est l’accompagnateur de la vie quotidienne. Certains me diront que cela « était vrai du temps de nos grands-parents ». Et que ce ne serait plus vrai ! Ceux qui diront cela seront, souvent, les premiers à faire bénir tout ce qui leur appartient, même, s’ils le pouvaient, leur « toutou ».

LA BÉNÉDICTION DES PÉCHEURS

        Si nous avons besoin de tant de bénédictions, c’est que, sans le dire explicitement, nous reconnaissons que nous sommes pécheurs et que les demandes de bénédictions non liturgiques nous rejoignent plus intimement que les grands actes liturgiques : messe et sacrements. N’est-ce pas dans la tradition de la foi chrétienne de tout faire pour la gloire de Dieu ? « Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu » (1 Co 10, 31). Mais avons-nous, en tant que chrétiens, l’obligation de recevoir tous ceux qui viennent vers nous ? Selon la charité qui accueille ceux qui demandent, faut-il tout accepter, même si ce qu’ils demandent semble être contre la volonté de Dieu ? Avons-nous au moins la possibilité du discernement ? La demande d’une bénédiction de l’union homosexuelle doit-elle être exaucée, même si on a pris toutes précautions pour éviter une ressemblance avec l’union sacramentelle du mariage ? Après tout, dans le domaine civil, l’assimilation est maintenant un fait juridique acceptable et accepté. Le « mariage pour tous » est devenu un droit. L’Église doit-elle se mettre au pas de la société civile et accorder aux unions homosexuelles la même reconnaissance et la même protection qu’au mariage hétérosexuel, ou quelque chose qui lui correspond ? Et, bien sûr, les mêmes conditions de séparation : le divorce ?

              La réponse positive que vient de donner la Déclaration « Fiducia supplicans » quant à la bénédiction « nuptiale » des personnes homosexuelles est plutôt marquée par l’ambiguïté que par la clarté. Malgré toutes les réserves qu’elle énonce pour éviter la confusion entre les deux formes d’union, cette Déclaration ne touche qu’aux conditions des actes extérieurs : interrogation et déclaration publique, témoignage, lieux de la cérémonie, etc. Elle n’aborde pas clairement ce qui le plus important pour les chrétiens : la possibilité d’une « bénédiction », donc d’une « approbation » divine pour ce genre d’union. Concéder une validité de « droit divin » à cette bénédiction comme signe de la miséricorde divine, cela est-il conforme à la volonté créatrice de Dieu et premier Auteur du « mariage » ? Que l’on ne puisse attribuer à cette bénédiction la dignité de sacrement, cela est « évident » ! Par ailleurs, est-il possible et conforme au « droit divin » de donner à cette concession le signe de la miséricorde divine ?[3]  Si l’on répond « oui » à cette question, il faudra admettre que Dieu a créé deux types d’union sexuelle : un mariage hétérosexuel qui répond à ses Droits et l’union homosexuelle qui répondrait à certains besoins des hommes et des femmes de notre temps, même si cette réponse est contraire au « droit divin » ! La charité passe « avant » le droit de Dieu.

LA VIOLATION DU CORPS

        Dans ses argumentations, la Déclaration développe deux sortes de raisons qui se veulent démonstratives. Le premier groupe d’arguments est une critique assez violente vis-à-vis des enseignements qui, jusqu’à maintenant, ont maintenu l’illicéité et l’invalidité des unions sexuelles homosexuelles. Le deuxième groupe tente de montrer que les changements des enseignements de l’autorité, si autorité il y a, sont le fruit des grâces et qu’à ce titre, ils doivent être reçus de bon cœur parce qu’ils sont le signe de la miséricorde divine.

              Avant d’aborder les argumentations qui soutiennent ces opinions, commençons par bien situer leurs problématiques. La problématique générale de cette Déclaration consiste à poser, subtilement, une question sur la valeur d’une bénédiction. Et non sur la nature de l’acte. Et cette analyse serait un lien avec les exigences du ministère ecclésial ! Même signée par le pape, cette Déclaration crée-t-elle une obligation aux épiscopats locaux ?

              Quels sont, maintenant, les fondements de l’enseignement de l’Église vis-à-vis de la morale sexuelle ? Le chrétien se pose ces questions. Et ces questions viennent des deux côtés de l’auditoire des fidèles. Certaines insistent sur la pérennité de l’enseignement ; d’autres, sur les comportements des personnes de même sexe. Le premier groupe de questions touche à  l’immuabilité de la doctrine ; le deuxième, à la primauté de la charité.

              Le premier groupe de questions est le développement d’une question fondamentale posée par le cardinal Victor Manuel Fernandez, préfet du dicastère pour la Doctrine de la Foi. « Étant donné que l’Église a toujours considéré comme moralement licites uniquement les relations sexuelles vécues dans le cadre du mariage, elle n’a pas le pouvoir de conférer sa bénédiction liturgique lorsque celle-ci peut, d’une certaine manière, offrir une forme de légitimité morale à une union qui se présente comme un mariage ou à une pratique extra- maritale[4]». Cette question, habilement formulée, signifie ceci : l’Église pourrait-elle proposer une formule, moralement acceptable, d’union des personnes de même sexe, laquelle, sans être un mariage, pourrait être moralement acceptable. Le cardinal Ladaria Ferrer, prédécesseur du cardinal Fernandez, avait répondu « non » à cette question[5]. La même question avait été posée au pape, dans une formulation un peu différente, par deux cardinaux : le cardinal Robert Sarah et le cardinal Raymond Leo Burke, en juillet 2023. Le pape a répondu le 29 septembre 2023 : « L’Église a une conception très claire du mariage : c’est une union exclusive, stable et indissoluble entre un homme et une femme naturellement ouverte à la génération d’enfants (…) néanmoins il ne faut pas devenir des juges qui se contentent de nier, de rejeter et d’exclure. Dans nos relations avec les gens, nous ne devons pas perdre la charité pastorale, qui doit imprégner toutes nos décisions et nos attitudes. La défense de la vérité objective n’est pas la seule expression de cette charité ; cela inclut également la gentillesse, la patience, la compréhension, la tendresse et l’encouragement. Par conséquent, nous ne pouvons[6] pas devenir des juges qui se contentent de nier, de rejeter et d’exclure ».                                                                                                            

              Assez subtilement, cette analyse diagonale change le problème. C’est le deuxième groupe de questions ! N’y a-t-il qu’une forme admissible de protection et de défense de l’intégrité du corps quant à l’acte sexuel ? Cette forme n’est-elle que le mariage… et encore, le mariage respectueux des exigences du corps ? Et lorsque les personnes sont implicitement privées du rapport hétérosexuel, n’y aurait-il pas une autre forme que la chasteté imposée pour maintenir une certaine de légitimité morale ? La réponse n’est pas donnée, mais, dans sa Déclaration « Fiducia supplicans », le cardinal archevêque émérite de Buenos Aires donne son point de vue. Les diverses formes de sévérité sexuelle, surtout vis-à-vis de l’homosexualité, se sont imposées à l’Église selon les indications de la « pastorale populaire »[7]. C’est ce point de départ qui a fixé « certains schémas doctrinaux ou disciplinaires »  conduisant « à un élitisme narcissique et autoritaire »[8]. Ce point de vue vient  d’un dégoût des « élites  sociales » qui s’octroient des permissions de compromis sociaux tout en pratiquant des façons d’agir, secrètes ou cachées, entraînant des actes objectivement illicites. L’union sexuelle des personnes « homo » provoquerait dégoût et donc rejet. Cette analyse sociologique entraînait une négation une exclusion.

              Toutes les critiques ne sont pas fondées sur le dégoût, mais sur les priorités des élites sociales que l’Église, dit-on, n’attaquerait jamais. Elle n’aurait jamais enseigné que la fréquentation des clubs sociaux où certains trouvent leur bonheur sexuel par les caresses de prostitués de haut niveau est aussi perverse que les actes de l’homosexualité ! L’encyclique Humanae vitae de Paul VI enseigne pourtant le contraire. De même, toute la Théologie du corps donnée par Jean Paul II[9]. Les dérives concernant les actes sexuels sont quasi inhérentes à toute société. Elles n’ont jamais trouvé dans l’Église une approbation licite. En insinuant le contraire, le préfet utilise sa mise en garde selon une méthode difficilement honnête. La pratique de l’adultère ne touche pas, de soi, à l’intégrité corporelle de l’acte sexuel, mais au devoir de justice et de fidélité vis-vis du conjoint que l’on trompe. Les amants qui s’unissent le font d’une façon plus satisfaisante et plus délectable quand l’union respecte la féminité de l’une et la masculinité de l’autre. Cela est-il pour autant licite ? Non, si la finalité – la procréation – est détruite. En raison de l’élimination de cette finalité objective, ces actes sont « contre nature », c’est-à-dire qu’ils sont une « injure au Créateur ». Et cela n’est pas une loi de l’Église, mais une loi naturelle dont l’essence s’attache à l’acte lui-même et à sa lumière[10]. La sexualité qui élimine la fécondité de façon technique ou chimique, et la sexualité entre deux personnes d’un même sexe n’ont, ni l’une ni l’autre, la bénédiction de l’Église. Cela, depuis Adam jusqu’à nos jours ! Reste, cependant, une différence. Les gestes de l’union des corps dans l’union homosexuelle et ceux de l’union hétérosexuelle sont spécifiquement différents quant au respect de la nature des corps sexués. Ces pratiques sexuelles peuvent aussi bien se retrouver entre deux partenaires, homme et femme, s’ils pratiquent une manière de s’unir que l’on trouve habituellement dans l’union homosexuelle. Et peut-être la culpabilité de ceux-là est plus grande que celle des partenaires qui ne peuvent agir autrement.

CE QU’EN DIT LA BIBLE

              Si, comme le souhaite le document qui sort du dicastère, pour éviter de se laisser influencer par les « schémas doctrinaux », on regarde les textes bibliques, on se rendra vite compte que l’intimité sexuelle entre deux hommes ou deux femmes est profondément rejetée, avec une grande sévérité, et met en cause le salut éternel si elle est librement voulue et recherchée. Le recours à la Bible ne contredira pas l’enseignement de l’Église et n’éloignera pas sa fidélité à transmettre la Parole de Dieu. On voit assez vite que la détérioration due au péché originel se poursuit chez les hommes de Sodome et suscite une colère de Dieu qui aboutit à la destruction par le feu de cette ville perverse (Gn 19, 1-11). Dans le Lévitique (18, 22), on lira : « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination ». La défense se répète en 20, 23. Et cela se poursuit tout au long du chapitre qui met en évidence les conditions nécessaires pour appartenir au Peuple élu. L’auteur exclut du Peuple de Dieu ceux qui ont un comportement homosexuel[11]. Quant à saint Paul, au début de son épître aux Romains, il considère qu’une pratique répandue d’homosexualité, est un châtiment contre ceux qui, connaissant la Loi, n’accomplissent pas la Loi. Ils se sont avilis « contre leur propre corps »« car leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; pareillement les hommes, délaissant l’usage naturel de la femme, ont brûlé de désir les uns pour les autres, perpétrant l’infamie d’homme à homme et recevant en leurs personnes, l’inévitable salaire de leur égarement » (Rom 1, 18-32 ; 1 Co, 6-9. 1 Tm 1,10).

L’impossibilité d’une bénédiction sans condition

        Il est absolument impossible de bénir sans condition. Bien que la bénédiction soit un signe sensible, elle a, en tant que « bénédiction, une relation à Dieu. Comme le répète « Fiducia supplicans », c’est Dieu qui bénit, que ce geste soit rituel ou non, individuel ou collectif. Un voleur, qui concevra et préparera le vol le plus génial du siècle, ne pourrait pas demander et recevoir une « bénédiction » comme gage « spirituel » de sa réussite. Pourquoi ? Parce que l’acte est intrinsèquement pervers, même s’il était accompli pour que les fruits soient destinés à secourir des personnes en détresse. En employant les mots « intrinsèquement pervers », nous faisons référence à l’encyclique de saint Jean Paul II, Veritatis Splendor. Cette encyclique, qui a fait grincer les dents d’un certain nombre, remettait en évidence la place de l’objet dans l’évaluation morale d’un agir humain. Ainsi, le pape d’alors pouvait écrire : « La doctrine de l’objet, source de la moralité, constitue une explication authentique de la morale biblique de l’Alliance et des commandements, de la charité et des vertus. La qualité morale de l’agir humain dépend de cette fidélité aux commandements, expression d’obéissance et d’amour »[12].       

              Cette vision « sévère » de l’Église ne découle en rien d’une pastorale populaire et de schémas disciplinaires, doctrinaux et autoritaires, schéma dont il faudrait libérer l’Église pour qu’elle atteigne sa « véritable liberté ». La liberté de l’Église c’est, malgré les pressions de toutes sortes et les tentatives de toute couleur concernant la sexualité, d’enseigner l’adhésion au commandement divin : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa, homme et femme il les créa. Dieu les bénit et leur dit « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28).

        Il est sûr que Dieu aime chaque personne et qu’il veut le salut de tous. Aucun être humain n’est, par avance, destiné à sa perte éternelle. Mais en aimant chaque personne humaine destinée à une vie conditionnée par des circonstances qu’elle n’a pas choisies, le Créateur la rend capable, non seulement de recevoir passivement les biens naturels nécessaires, mais de choisir avec liberté ceux qui mènent au bonheur (Ps. 4,7). Pour opérer ce choix, la personne a besoin de discerner ce qui est bien et ce qui est mal.

                Les biens objectifs qui intéressent la personne humaine ont des degrés d’attraction bien différents de ceux qui sollicitent l’appétit de l’animal. Ils ne concernent pas que ceux de la vie physique ; ils s’adressent à toutes les puissances de l’homme ; ils sollicitent autant les forces de son corps que celles qui découlent de la variété de ses passions. Et plus encore, ils s’introduisent dans ses puissances spirituelles : l’intelligence qui est en quête de connaître ce que sont les choses et la volonté qui est à la source du désir de la perfection de l’agir, quelle que soit la « vérité » de cette réalité.

              Lorsque nous lisons Fiducia supplicans, un doute nous assaille, un doute surgit. Que cherche le préfet du dicastère pour la Doctrine de la Foi ? Dans quelle optique se place-t-il ? Quelle est sa véritable pensée ? Considérer que toute société, y compris l’Église, est une société de pécheurs et que tout homme doit se considérer comme tel n’est pas faux ? Faire confiance à Dieu qui, seul, est « capable de tout orienter » est bon. Si tout homme est pécheur, il ne peut qu’agir en pécheur. Celui qui est marié légalement serait aussi pécheur que celui qui ne l’est pas. Tout homme dépendant de Dieu, il faut que l’Église accueille ceux qui pèchent et ceux qui pensent qu’ils ne pèchent pas, quelle que soit la réalité extérieure de leurs actes. Mais la miséricorde divine doit-elle être la seule vérité dont il faut tenir compte ? Que savons-nous de la réalité intérieure de ceux que les circonstances de la vie ont orientés vers des comportements, des habitudes, des actes qui sont considérés comme hors des normes ? Et de ceux qui sont considérés comme bons. Sans doute ceux qui vivent et agissent selon les normes de la « vie droite » qui plairait à Dieu se sentent confortables vis-à-vis de Lui. Ceux qui ne s’attribuent pas ce mérite se sentent rejetés. Et prient-ils Dieu de les accueillir dans leur misère ? Peut-être ? Qu’en savons-nous ? Cette attitude intérieure est ce que le cardinal Fernandez appelle la bénédiction ascendante. C’est l’acte de l’homme pécheur. Elle ne doit pas faire oublier la bénédiction descendante, celle qui vient de Dieu, celle qui vient en aide à celui qui souffre de sa misère dont il lui semble qu’il ne peut sortir. Cette miséricorde, qui vient de Dieu, est la marque de son amour et elle est donnée de façon aussi gratuite que l’amour ascendant. Cependant, cette bénédiction descendante supprime-t-elle les droits de la vérité dans la détermination libre des actes humains ?

C’EST VRAI… MAIS !

              Dans cette rencontre des deux amours, il n’y a plus aucune place, pour l’objet de l’acte. L’acte n’est plus que supplication et prière. Il n’y a plus d’actes intrinsèquement mauvais qui dépendraient des choix conditionnés de la raison et de la volonté de l’homme. Il n’y a que des actes sans réalités précises et qui seraient subis selon des choix qui ne dépendraient pas de l’homme. On retrouve, chez le cardinal Fernandez, la même théologie que celle qui a inspiré son commentaire Amoris Laetitia. Les divorcés remariés auxquels on demande de ne pas communier seraient injustement privés de l’acte extérieur de la miséricorde divine dont ils ont autant besoin que ceux qui sont admis à la communion eucharistique. L’admission à la communion serait comme la bénédiction donnée à l’union des personnes de même sexe, le signe sensible de la miséricorde divine.

              Où est le problème ? Il repose dans la confusion entre le for interne et le for externe. La réalité sacramentelle du mariage est publique. Elle est signe, audible et sensible, de la réalité objective de l’acte, non de la réalité subjective de la conscience vis-à-vis de Dieu. En ce qui concerne les divorcés remariés, le refus, au for externe, de l’admission à la communion n’est pas leur divorce non reçu par l’Église. Ils peuvent  bien et en vérité sentir que ce premier mariage était nul. Mais il faut que ce « sentiment » ait le témoignage de l’Église. Car ce consentement public est le signe sensible de l’union « mystique » du Christ comme Époux de l’Église. Si ce signe sacramentel est absent, il n’y a pas de mariage sacramentel. L’autorité de ce signe sensible ne dépend donc pas du bon vouloir des époux, mais de la valeur objective du geste qu’il pose. Il ne dépend pas de la bonne conscience qu’ils ont de l’échec de leur mariage et de sa nullité qui est peut-être réelle. Cette nullité doit être rendue publique, puisque le mariage est un acte public. L’Église refusant, sauf pour des raisons extrêmement graves, les mariages clandestins ou secrets[13].

               En ce qui concerne les personnes de même sexe, qui demandent « la bénédiction », donc un acte public au for externe, la miséricorde divine qui s’exerce au for interne est-elle, à elle seule, le critère objectif de la rectitude morale ? Ou ces personnes cherchent-elles un certain confort social et un terme à leur angoisse ? Seul, Dieu peut en juger. Cependant, la miséricorde divine pardonne les péchés, elle ne change pas ce qui est objectivement un mal pour le faire apparaître comme un bien. La volonté divine, qui donne à l’union de l’homme et de la femme la mission de peupler la terre et de la gouverner, s’attache à l’acte public du mariage. Elle sollicite le for externe. La bénédiction de l’union de deux personnes de même sexe ne changera rien, ni au for interne, ni au for externe, s’il n’y a pas une volonté, même hésitante, d’en sortir. Qu’il soit public ou privé, cet acte, objectivement, est un acte contre nature, qu’aucune prière ne changera et qu’aucune bénédiction n’améliorera, ni n’en fera un acte conforme à la volonté de Dieu. Selon ce que les personnes de même sexe en acceptent et selon la préparation qu’on leur donne, ce refus de la bénédiction de l’union peut induire un changement intérieur vers une vie qui cherche Dieu et le trouve. Et pour que cela se produise, il faut s’en occuper. Car si Dieu n’abandonne personne, il est toujours le bon Pasteur qui cherche la brebis qui risque de se perdre. Sa volonté d’amour doit être transmise, non par une exclusion ou un jugement de dégoût, mais par le jugement de la miséricorde, lequel permet de retrouver la certitude de la vérité morale. C’est la volonté immuable du Créateur, à laquelle, doivent obéir ceux qu’il a créés et qui doit aussi être manifestée au for externe comme signe de l’obéissance à la volonté créatrice de Dieu : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28).

Aline Lizotte


[1] Le Père James Martin, s.j., est bien connu aux États-Unis pour son apostolat fructueux auprès des catholiques LGBT et en même temps, pour que les catholiques changent d’attitude « sociale » envers les personnes homosexuelles. Son livre, Building a Bridge (HarperOne, 2017), est traduit en français et publié par les éditions du Cerf (collection Idées), en 2018.

[2] Au Québec, quand j’y habitais, la tradition voulait que la jeune fille, qui allait quitter la maison pour se rendre à l’église du village célébrer son mariage, demande à son père, son papa, sa bénédiction. Il n’y avait plus que deux personnes dans la maison : le père et sa fille, vêtue de sa robe blanche et ornée de ses bijoux. A l’annulaire de sa main gauche, la bague de fiançailles avait disparu. Car cette jeune fille allait recevoir et donner quelque chose de plus grand qu’une promesse : la réalité de son être et de sa vie. Dans son amour, s’accomplissait le commandement de Dieu : « Soyez féconds et multipliez-vous ».

[3] C’est la position du Père James Martin.

[4]Dicastère pour la Doctrine de la Foi, 25/09/2023.

[5] Responsum de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a un dubium au sujet de la bénédiction des unions de personnes du même sexe, 22/02/2021, Luis F. Cardinal Ladaria, s.j.

[6] Dubium concernant l’affirmation selon laquelle la Révélation divine devrait être réinterprétée sur la base des changements culturels et anthropologiques actuels (25/09/2023).

[7]  Fiducia supplicans, n° 24.

[8]  Ibid, n° 25.

[9]  De septembre 1979 à novembre 1984.

[10] S.Th. Ia-IIae, qu.94,art.2

[11] Cf Lettre aux évêques de l’Église catholique sur la Pastorale à l’égard des personnes homosexuelles, signée Joseph Cardinal Ratzinger, préfet, 1er octobre 1986 

[12] Saint Jean Paul II, Veritatis Splendor, n° 52-64.

[13] D Cn 1130-1133