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AVORTEMENT : PUISQUE C’EST POSSIBLE

La loi Veil fut votée en 1975 sur un déni et un refus. 50 ans après, 86 % des Français souhaitent l’inscription dans la constitution de ce droit à l’avortement. Cette quasi-unanimité n’est-elle pas le signe du recul de l’espérance devant la pulsion de mort qui ronge de plus en plus nos contemporains ?

 Dans nos sociétés post-modernes, le droit n’est plus l’objet de la justice comme le définissait, déjà, Aristote au IVème siècle avant Jésus Christ. Il est devenu la liberté de faire tout ce que je veux, tout ce qui me plait, à condition de ne pas nuire aux autres. La limite de mon droit n’est plus que le respect de la liberté de l’autre, l’État n’étant plus là que pour arbitrer entre les exigences contradictoires des uns et des autres, dans un équilibre toujours précaire. Ainsi ce sont multipliés les droits dit sociaux ou sociétaux comme le droit à l’avortement, le droit au suicide, le droit au mariage pour tous, le droit de se choisir un genre distinct du sexe biologique.

Evidemment, si mon droit s’arrête où commence le droit de l’autre, le droit à l’avortement pose un problème à la conscience, même moderne. Comme disait le professeur Lejeune au moment des débats sur la loi Veil, aussi petit soit-il, Tom Pouce, ce futur adulte, est là dans le ventre de sa mère. Or si Tom pouce est là, il a droit à la vie et le supprimer a des airs d’homicide. Que quelqu’un décide d’arrêter l’existence d’un homme ou d’une femme à quelques jours de gestation ou après des dizaines d’années de vie ne change rien à la question : c’est toujours la même personne, le même unique destin, le même Tom Pouce qu’on tue. Bien entendu, c’est inacceptable, même pour la conscience moderne pour laquelle demeure l’interdit du meurtre.

Il a donc fallu, pour voter la loi Veil, installer l’opinion, qui soit dit en passant, ne demandait que cela, dans un double refus.  

Déni d’humanité

Le premier consiste à nier, contre toute évidence scientifique, que Tom Pouce soit une personne humaine. Ce serait juste un amas de cellules. Dans les tout premiers jours de son existence, il est vrai, Tom Pouce n’est pas très grand. Il n’est pas très difficile de prétendre qu’il n’est pas encore capable d’opérations cognitives complexes. Les semaines et les mois passant, cela devient moins crédible. Quand il a dépassé le stade du zygote, qu’il arrive au stade du fœtus et surtout quand il est parvenu, après trois mois, au terme de l’organogénèse, il devient plus compliqué de nier l’évidence que c’est un petit humain ; d’autant que les échographies nous le montrent si mignon…

Pour se maintenir dans le déni, l’opinion écoute alors de doctes philosophes et parfois même des théologiens. Ceux-ci lui expliquent que la personne n’existe que quand elle entre en relation. Ils évitent au passage de s’interroger pour savoir si Tom Pouce n’est pas déjà en relation avec sa mère, et elle avec lui. Mais peu importe : puisque celle-ci ne veut pas le garder et le reconnaitre comme son fils ou sa fille, Tom Pouce est déclaré inapte au statut de personne humaine.

Et c’est ainsi que la quasi-totalité des françaises et des français considère qu’en aucun cas l’avortement ne transgresse une des lois primordiales de la conscience humaine : « tu ne tueras pas ».

Refus de souffrir

Laissons de côté l’aspect devenu dominant de cette transgression, celui d’une liberté absolue qui, ne se souciant plus de celle des autres, se conçoit désormais sans limite (ici : « je fais ce que je veux de mon corps ») dans une société devenue fondamentalement libertaire ; et tenons-nous-en dans cet article à la justification affichée par les promoteurs de l’avortement à l’origine, à savoir la question de la souffrance. La loi Veil a été votée en invoquant la souffrance de la femme confrontée à une grossesse non désirée, voire infligée par violence. Impossible de nier que les « faiseuses d’ange », comme on les appelait, laissaient, quand elles n’en mourraient pas, des femmes physiquement et moralement meurtries par des actes d’une barbarie sans nom.

Le thème principal de ceux qui soutenaient, à l’époque, la loi Veil était donc de dire, « entre deux maux choisissons le moindre ». Il est vrai qu’entre un avortement dans des conditions d’insalubrité et de manque d’hygiène quasi-totale et un avortement dans un bloc opératoire, il est possible de comprendre qu’une femme dans une très grande détresse physique, morale ou sociale choisisse la clinique que lui proposait la loi Veil plutôt qu’un cabinet occulte. Il ne vient non plus à l’idée de personne de dire qu’une jeune fille de 16 ans qui attend un enfant ne s’engage pas dans une vie difficile pour elle-même et son enfant. Même les moralistes les plus vétilleux reconnaissent que l’avortement est un drame humain avant d’être objectivement une faute morale.

Pour autant, ce refus de la souffrance peut-il être érigé comme une sorte de droit ? Aurais-je le droit, à tout prix, de ne pas souffrir ? Certains aimeraient s’en persuader.  

Personne ne nie que la lutte contre la souffrance soit légitime. Mais personne ne peut faire de la lutte contre la souffrance un absolu ou une fin en soi. Les moyens utilisés ne doivent pas être pire que le mal auquel ils cherchent à porter remède. Sinon la lutte contre la souffrance devient une valeur supérieure à la promotion de la vie. Or c’est ce qui semble arriver. Nos sociétés cherchent désespérément à chasser, sans y parvenir, la souffrance de la vie et, quand elles n’y parviennent pas, elles préfèrent sacrifier la vie.

Souffrir est devenu le mal absolu.

Nos sociétés ont oublié que la souffrance, qui reste un mal, peut avoir un sens, et parfois même être source de rédemption. Mourir pour sa patrie en est un exemple. Porter une vie, l’accueillir quoi qu’il en coûte, en est un autre qui n’est pas moins grand.

Mettre un enfant au monde restera toujours un pari sur la vie ; ce sera toujours croire que le don de la vie est plus grand que la souffrance, la maladie ou la mort. Dans le journal La Croix, Mgr Pascal Wintzer, il y a quelques jours, écrivait à propos du droit à l’avortement et de la loi sur la fin de vie que « l’élan vital a déserté notre époque, singulièrement les Français…  La mort semble plus protégée que la vie n’est encouragée. On a dès lors la tentation de penser que tout cela appartient à une seule et même logique qui fait taire toute espérance en la vie, en la promesse de futur qu’elle offre. » Et il concluait « Aujourd’hui comme hier, l’espérance comme la vie, sont des sports de combat. Il ne s’agit pas de combattre contre les autres, mais contre soi-même et la tentation de baisser les bras, de ne plus croire l’action humaine porteuse de fruits. »[1]

Comment s’étonner que, dans ces conditions, 86 % des Français souhaitent inscrire la loi Veil dans la constitution. Un « droit », fondé sur un refus en forme de déni généralisé : celui de reconnaitre que le tout petit, bien ou mal portant, est déjà porteur de l’immense richesse d’amour que possède le moindre être humain à sa naissance.

Un déni qui s’accompagne du refus, largement partagé, de croire que l’espérance peut triompher de la souffrance et que l’amour est toujours plus grand que le mal. Cet aboutissement est parfaitement logique dans une société où nul ne supporte plus aucune frustration d’aucune sorte.

Ainsi la France va sanctuariser dans la constitution sa peur de la vie et de la souffrance. Cette sanctuarisation permettra au Conseil Constitutionnel de poursuivre plus facilement en justice ceux qui refusent, au nom de la clause de conscience, de pratiquer des avortements afin de les y contraindre. Attendons-nous aussi à ce que, selon la même logique, il en soit de même pour l’euthanasie et le suicide assisté : érigés en un « droit à… », il deviendra obligatoire d’y concourir pour tout praticien. Selon le Garde des Sceaux, en inscrivant le droit à l’avortement dans sa constitution la France serait « porteur des valeurs universelles ». En réalité c’est à ses peurs et à la pulsion de mort qui les alimente qu’elle donne une portée universelle. Notre société est en train de devenir suicidaire.

Thiery Boutet


[1] https://www.la-croix.com/a-vif/ivg-euthanasie-mgr-wintzer-la-mort-semble-plus-protegee-que-la-vie-n-est-encouragee-20240228