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Apparitions et miracles : l’Eglise ne reconnaît plus leur « supernaturalité »

Dans l’Eglise, les polémiques concernant les apparitions et les phénomènes surnaturels n’ont pas attendu les événements de Medjugorje. Depuis l’origine, elle appelle à la prudence. Au cours des siècles, elle s’est fixé des normes pour exercer son discernement. Celles, édictées le 25 février 1978, sous le pontificat de Paul VI, ont paru, depuis quelques années, insuffisantes. Le Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF), le 17 mai, en a publié de nouvelles. Approuvées par le pape, elles sont entrées, à sa demande, en vigueur pour la Pentecôte. L’objectif affiché du préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, est de clarifier ces procédures, de permettre d’établir un discernement plus clair et plus rapide. Mais, au passage, le document modifie substantiellement la nature de ce discernement. Faut-il donc parler seulement de clarification ?

           Le document, d’environ 19 pages, du cardinal Victor Manuel Fernandez, intitulé « Normes procédurales pour le discernement de phénomènes surnaturels présumés » a été publié avec un long préliminaire de celui-ci, dans lequel il développe les raisons qui l’on conduit à modifier les normes de 1978.

           Le document de 1978, d’à peine plus de 4 pages, était bref, synthétique et se contentait de formaliser une tradition déjà ancienne. Le nouveau document, pour l’essentiel, reprend, en plus nombreuses, les procédures de 1978 et énumère les critères de discernement de manière plus détaillée. L’esprit des normes de 1978 était de s’appuyer principalement sur le discernement de l’évêque et de ses conseillers. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi n’intervenait, à l’époque, qu’en seconde ligne, à la demande de « l’ordinaire du lieu » ou si des problèmes particuliers ou des contestations se posaient.

           Les nouvelles procédures, approuvées par le pape, limitent les marges de manœuvre de l’évêque. D’une part, elles le forcent à examiner les cas d’apparitions ou de phénomènes surnaturels présumés « en dialogue avec la conférence épiscopale nationale », d’autre part, il ne pourra plus prendre des décisions « qu’en accord avec le Dicastère pour la Doctrine de la Foi ». Il est vrai qu’à l’heure des réseaux sociaux, lorsqu’un évêque prend une décision sur un phénomène possiblement surnature,l celle-ci dépasse largement son diocèse. Une mise à jour apparaissait donc souhaitable, d’autant que l’examen des cas d’apparitions ou de phénomènes mystiques présumés occupe une bonne partie du temps du Dicastère.

Nouvelles catégories

           Les nouvelles dispositions permettront-elles un discernement plus rapide, comme le pense le cardinal Fernandez ? C’est à l’usage qu’il sera possible d’en juger, car les nouvelles procédures multiplient et formalisent des étapes qui, en pratique, existaient déjà. Elles obligeront sans doute des allers et retours plus nombreux entre l’évêque du lieu, la conférence épiscopale nationale et le Dicastère romain.

           Mais l’originalité la plus importante du document n’est pas là.

           En effet, jusqu’ici, comme l’écrit le cardinal Fernandez dans le préliminaire du document, l’Eglise formulait son jugement principalement par deux expressions consacrées : « les procédures de facto suivies par le Dicastère, même récemment, étaient orientées vers une déclaration de « supernaturalité » ou de « non-supernaturalité ».

            C’est fini : « le Dicastère a récemment proposé au Saint-Père de mettre fin au discernement en la matière, non par une déclaration de supernaturalitate, mais par un Nihil obstat… Le Saint-Père a considéré cette proposition comme une « solution juste ». Cela signifie que l’évêque, l’Eglise ne se prononcent plus sur le caractère surnaturel d’un phénomène. « C’est-à-dire », comme l’écrit encore le cardinal, « sur la possibilité d’affirmer avec une certitude morale qu’il provient d’une décision de Dieu qui l’a voulu directement. »

            Le document propose donc que les conclusions du discernement soient désormais exprimées en six formules :

Nihil Obstat : « Même si aucune certitude n’est exprimée quant à l’authenticité surnaturelle du phénomène, de nombreux signes d’une action de l’Esprit Saint « au milieu » d’une expérience spirituelle donnée, sont reconnus, et aucun aspect particulièrement critique ou risqué n’a été détecté, du moins jusqu’à présent…. » (n°17).

Prae oculis habeatur : « Bien que des signes positifs importants soient reconnus, il y a aussi des éléments de confusion ou des risques possibles qui nécessitent de la part de l’évêque diocésain un discernement attentif… ». (n°18).

Curatur : « Plusieurs éléments critiques ou significatifs sont relevés, mais en même temps, il y a déjà une large diffusion du phénomène et une présence de fruits spirituels liés à celui-ci et vérifiables. Une interdiction qui pourrait indisposer le Peuple de Dieu est déconseillée à cet égard… ». Comme avait répondu Jean-Paul II interrogé sur les événements de Medjugorje : « C’est une question pastorale » (n°19).

Sub mandato : « Les points critiques relevés ne sont pas liés au phénomène lui-même, qui est riche en éléments positifs, mais à une personne, une famille ou un groupe de personnes qui en font un usage abusif… » (n° 20).

Prohibetur et obstruatur : « Même en présence de requêtes légitimes et de quelques éléments positifs, les points critiques et les risques semblent sérieux… » (n° 21).

Declaratio de non supernaturalitate : « Dans ce cas, l’évêque diocésain est autorisé par le Dicastère à déclarer que le phénomène est reconnu comme non surnaturel ». (n °22).

           Et le document ajoute et souligne à nouveau : « À la lumière de ce qui précède, il est rappelé que ni l’évêque diocésain, ni les Conférences épiscopales, ni le Dicastère, en règle générale, ne déclareront que ces phénomènes sont d’origine surnaturelle, même lorsqu’un Nihil obstat est accordé (cf. n° 11). » (n° 23).

           Pour comprendre la portée théologique de cette décision, deux ou trois rappels sont nécessaires.

Certitude de foi et certitude morale

           En premier lieu, il faut redire que l’Eglise n’a jamais considéré que la reconnaissance d’apparitions  ou de phénomènes surnaturels engageaient la foi. Lourdes et Fatima sont « reconnus » par l’Eglise, mais « ne pas y croire » ne fait pas du chrétien un hérétique ou un schismatique. L’Eglise a toujoursenseigné que les dévotions particulières, les apparitions mariales ou autres relevaient de la piété, pas de la foi. Ni le pape ni les évêques, lorsqu’ils reconnaissent le caractère surnaturel d’une apparition, ne lient les consciences. Ils ne prétendent pas enseigner une vérité de foi. Ils ne font que prononcer unjugement « moral ». La certitude de foi est, en effet, fondée sur la parole deDieu reçue et transmise par l’Eglise. La certitude morale ne relève que d’un jugement prudentiel. Même éclairée par l’Esprit Saint, la certitude morale n’a donc jamais le caractère absolu d’une certitude de foi. Certitude néanmoins suffisante pour recevoi, comme vraiment surnaturelle, une apparition.

            Or, pour justifier que l’Eglise ne se prononce plus sur le caractère surnaturel d’un événement, le cardinal invoque deux raisons : premièrement, un risque de confusion qui inclinerait les fidèles à croire d’une pleine certitude de foi, par exemple des apparitions comme Lourdes, Pontmain, ou celles de Sainte-Anne d’Auray et deuxièmement, des risques d’erreurs ou de jugements contradictoires de certains évêques. Il est en effet possible que certains fidèles accordent plus d’importance à telles ou telles apparitions qu’à l’Evangile. Il se peut que des apparitions, même authentiques, aient engendré des désordres et une piété un peu fanatique, voire du sectarisme. Il n’est pas douteux, que certains évêques ont manqué de prudence ou de discernement, dans un sens ou dans un autre. Est-ce une raison pour décider que l’Eglise ne se prononcera plus sur la « surnaturalité » d’un phénomène ?

Reconnaitre les signes de Dieu

           L’Eglise a toujours été accueillante et prudente face aux phénomènes mystiques. Saint Paul est très clair : « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties ;examinez tout, retenez ce qui est bon » (1 Th 5, 19-21). Dès le Moyen Age, et surtout face aux critiques de la réforme protestante, elle a précisé ses critères de discernement. Le concile de Trente conseille ainsi aux évêques de consulter de pieux théologiens, en langage moderne, des « experts ».

           Mais cette prudence n’exclut pas, au contraire, que l’Eglise estime la raison humaine capable de reconnaître des signes de Dieu dans le cours des événements. A la Pentecôt, saint Pierre s’adresse ainsi à la foule réunie à Jérusalem : « Gens d’Israël, écoutez ces paroles ! Jésus de Nazareth était un homme dont Dieu vous a démontré l’autorité en accomplissant par Lui toutes sortes de miracles, des prodiges, et des signes qu’il a opérés au milieu de vous, comme vous le savez-vous-mêmes. » (Ac 2, 22) et Luc témoigne encore : « Par les mains des apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple » (Ac 5,12). Les deux Testaments ne cessent de raconter des histoires de miracles et d’apparitions, et ceux-ci se poursuivent dans l’Eglise pour le bien des fidèles.

           Certes, nous ne pouvons pas, par les seules forces de la raison humaine, accéder au surnaturel. Mais nous pouvons en lire les signes, en déceler l’invisible présence à travers les événements, ce « doigt de Dieu » dans nos vies. Ainsi, décider, le jour de la fête de la Pentecôte 2024, qu’en aucun cas, l’Eglise n’a la capacité de prononcer « un jugement moral », sur la « supernaturalité » d’un événement est pour le moins paradoxal : depuis la première Pentecôte, en effet, l’Esprit Saint n’a cessé, dans les périodes de crises, de venir par des signes, des miracles et des apparitions, au secours de la foi des chrétiens.

           Beaucoup de chrétiens, attentifs au discernement de l‘Eglise, ont pensé surnaturelles des manifestations qui ont réconforté leur espérance dans les moments les plus sombres, et enflammé leur charité aux époques de persécutions. Lourdes serait-il Lourdes si, après quatre ans d’enquête minutieuse, Mgr Laurence, évêque de Tarbes, n’avait pas reconnu officiellement le caractère surnaturel des dix-huit apparitions à Bernadette Soubirous ?

          Voici le texte de la déclaration du 18 janvier 1862, de l’évêque de Tarbes : « Nous jugeons que l’Immaculée Marie, Mère de Dieu, a réellement apparu à Bernadette Soubirous, le 11 février 1858 et les jours suivants, au nombre de dix-huit fois, dans la grotte de Massabielle, près de la ville de Lourdes ; que cette apparition revêt tous les caractères de la vérité, et que les fidèles sont fondés à la croire certaine. Nous soumettons humblement notre jugement au Jugement du Souverain Pontife, qui est chargé de gouverner l’Eglise universelle ». Depuis le 19 mai, en toute rigueur, la peur de la fausse mystique et une certaine forme de rationalisme religieux lui interdirait cette déclaration. Mais alors, qui serait venu prier à la grotte de Massabielle depuis 1862 ?

Thierry Boutet